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Épisode #4 – L’industrie musicale à l’épreuve du confinement : les labels

Épisode #4 – L’industrie musicale à l’épreuve du confinement : les labels

Les labels indépendants se démènent pour faire vivre des projets à taille humaine, bien souvent à contre-sens de tout objectif commercial et lucratif. Ils contribuent fortement à la promotion d’artistes en développement et favorisent la diversité du paysage musical de part leurs choix éclectiques de signatures.

Pour mieux comprendre l’impact de la crise et les enjeux auxquels les labels indépendants sont confrontés, nous avons recueilli les témoignages de Antoine Bisou de Microqlima (L’Impératrice, Isaac Delusion, Pépite, Fils Cara) et Ugo de Angelis de Nowadays Records (Fakear, La Fine Equipe, FORM).

Quelques mots pour présenter vos labels ?

Antoine : Microqlima est un label indépendant et éclectique. C’est une petite structure mais avec de grandes ambitions et qui met de gros moyens. On fait de la pop au sens large et noble du terme. J’ai envie qu’on fasse de belles chansons, qui soient les plus belles possible et qui parlent à un maximum de gens. On n’a pas de ligne éditoriale définie. On fait du rap, du disco, de l’électronique. On a 4 artistes, on signe très peu et on ne signe que des artistes en développement. On a une vision très familiale et impliquée de la production musicale. A terme, j’aimerais signer ce que je veux avec encore plus de diversité. On est aussi éditeur et on organise des évènements quand on en a le droit dans des lieux plus ou moins insolites (open air, parcs oubliés de Paris, le festival piano / voix Qui va piano Va sano).

Ugo : Nowadays est un label, fondé par des artistes pour des artistes, de musique électronique au sens large et éclectique. On n’a pas de limite de style si ce n’est que ça reste majoritairement de la musique électronique dans la démarche. Au départ, on vient de la culture du digging et du samplig.

Comment se portent vos artistes confinés ? Parviennent-ils à créer malgré l’enfermement et la privation de liberté et à garder un lien avec le public ?

Antoine : Cette crise ne fait qu’accélérer et exacerber les changements qui sont déjà en cours. Aujourd’hui, un artiste est soumis à la tyrannie des réseaux sociaux. Il doit être proche du public, communiquer et s’exposer personnellement. Avec le confinement, du jour au lendemain, il ne restait que ça car la tournée et l’expérience réelle du concert ont disparu. Tous nos artistes se sont lancés à fond là-dedans pour continuer de faire vivre leur projet, communiquer et palier à l’annulation des tournées. La vidéo est principalement devenue un moyen de communication direct avec le public. Certains s’en sortent mieux que d’autres car ils ont plus de motivation et d’actus en ce moment comme l’Impératrice ou Isaac Delusion alors que ce n’est pas nécessairement leur stratégie de communication à la base.

On ne s’en rend pas compte mais les artistes, labels et managers passent énormément de temps à gérer ces contenus.  J’ai l’impression que ça opère un tri entre les artistes dont le projet n’est pas de s’exposer et les autres, ce qui n’est pas une très bonne nouvelle pour la diversité et les petits projets en développement. Il y a une prise de conscience de l’importance et du pouvoir que ça peut avoir. J’espère sincèrement que ce n’est pas notre futur mais on est obligés de s’adapter à ces nouvelles technologies mais on s’est plutôt bien adaptés et tout se passe plutôt bien jusqu’ici.

Ugo : Nos artistes créent autant. Au début, certains n’avaient pas leurs matos et étaient bloqués mais ont réussi à récupérer leurs matos. Pour ceux qui tournent beaucoup, ça va les pousser à produire plus. Pour ceux qui ne font que de la production studio, ce n’est pas certain qu’ils produisent autant car ils n’ont pas accès à leurs studios.

On a beaucoup de profils d’artistes différents. Les artistes studio sont de très mauvais communicants car ils font de la musique de films ou des sons pour d’autres artistes, ils sont donc moins mis en avant et se posent moins la questions d’entretenir un lien avec leur public. Pour ceux qui tournent beaucoup, ils passent par le streaming et les réseaux sociaux et ça prend du temps de réfléchir à ce que tu vas fournir et partager comme contenus,  (en vidéos, en mix). D’autres réfléchissent à comment faire des sessions lives, être créatif, bricoler des choses marrantes en vidéo, téléchargent des logiciels de montage et récupèrent du matos vidéo. Ça te pousse à réfléchir à ce format et à être plus généreux en contenus vidéos qui fonctionnent pour les réseaux, ça pousse à la créativité et à chercher des idées. Par exemple, FORM a la chance d’être confiné ensemble au Musée sauvage et fait de la musique, prépare la fin du confinement, fait beaucoup de sessions lives.

En tant que label, comment vous-êtes vous adaptés pour accompagner vos artistes et pour travailler sur vos différents projet ?

Antoine : La première décision a été de ne rien changer au planning, parce que si on commençait à tout bouger, on n’allait plus s’en sortir et ça allait ouvrir la porte à je ne sais combien de doutes. On a tout fait pour conserver notre dynamique, garder notre motivation et notre élan artistique. C’est pour cette raison qu’on a sorti 4 titres en avril et je suis assez fier de ça.

Concrètement, en interne, tout le monde est en télétravail. On s’est adaptés plutôt rapidement aux outils car on était déjà digitaux avec des outils de partage, de collaboration.

Ugo : En interne, chacun est chez soi. On s’appelle plus régulièrement mais tout est plus long. Avec les artistes, on communique comme avant (par téléphone, visio, mails) mais tout devient plus lourd car ce n’est pas agréable de ne pas se voir. Mais, la vie continue assez bien.

La réflexion change d’une semaine à une autre en fonction de la visibilité qu’on a. On s’adapte au jour le jour mais nos façons de fonctionner et nos stratégies peuvent changer. On a gardé certaines sorties car on avait le matériel et on ne voulait pas qu’il y ait un vide dans notre activité.

Quels ont été les impacts directs et/ou indirects de cette crise sur vos différents projets ? 

Antoine : On n’est pas en première ligne. Je pense plutôt aux salles ou aux festivals qui sont bien plus impactés que nous. On n’est pas dépendants des ventes physiques. On est complètement sur du streaming. L’argent continue de rentrer malgré une baisse des streams.

Ugo : C’est assez léger mais la partie promotion a été impactée : il y a moins de moyens pour communiquer sur la sortie d’un projet (moins d’interviews, moins de lives en radio). Il y a la baisse des ventes physiques même si ce n’est pas le plus gros de nos revenus. Mais, on a la chance d’avoir un back catalogue qui tourne et qui nous permet d’avoir des revenus réguliers, même si les streams ont légèrement diminué.

Dans la projection de nouveaux projets, je sens que les gens sont un peu plus frileux pour lancer un nouveau projet ou signer un nouvel artiste. Il y a un peu plus d’immobilité qui se répercutera plus tard. Je me suis remis en question : tu repenses à ce que tu as fait, tu reviens à tes premiers amours, tu ré-écoutes des classiques, des vieux albums, des choses plus rassurantes, t’es moins dans la nouveauté et la découverte et tu reviens aux fondamentaux. A l’échelle du label, dans les choix artistiques et la signature, ça va plus doucement. On n’a pas envie de dire n’importe quoi au nouveaux artistes avec lesquels on discute. On met les choses en attente.

En fait, c’est plein de petites choses. Cette immobilité réduit tes revenus, te met en zone de danger et te rend plus prudent. Dans l’organisation, tu décales les sorties, les gens avec lesquels tu travailles ont moins de travail. Les impacts se verront sur le long terme même si on ne voit pas toute l’envergure du problème.

Au delà du label, on devait aussi lancer nos soirées CLUB NOWADAYS avec beaucoup de live steams et une équipe vidéo. 5/6 soirées, sur 2 mois en France, étaient prévues. Le confinement a commencé la veille de la première soirée donc ça a mis un gros coup. Mais, on lance totalement le concept en stream, en invitant des artistes d’autres labels mais les soirées se font à la maison. Cette série de live streams CLUB NOWADAYS STADE 3 permet d’échanger avec les artistes, de reprendre contact,  de partager des choses, de faire travailler les artistes, ça active ce réseau. La partie live stream est super importante aujourd’hui même si tout le monde le fait. C’est important de le faire parce que ça stimule l’activité, ça permet de solliciter tout le monde et surtout les DJ, pour qui c’est une période extrêmement difficile, car ils doivent continuer à faire tourner leurs noms, à partager pour pouvoir se vendre quand ça va reprendre.

Allez-vous changer certaines stratégies prévues initialement pour certains projets ?

Antoine : Pour les choses que je suis obligé de décaler, il va falloir trouver des moyens, des idées nouvelles pour combler le manque créé par l’absence de dates et de tournées parce que c’est un vecteur de communication énorme, c’est la suite logique d’un album. Pour l’instant, ce qu’on va devoir changer est un peu flou mais ce qui est sûr, c’est que ça va nous couter plus cher en investissement d’images, vidéos, contenus, réseaux, clip, photos.

Ugo : Des plannings ont bougé. On avait 2/3 projets qui devaient sortir sur l’été (avec une soirée, un clip) qu’on va décaler à après l’été. Sur certains projets, on s’adapte pour partir sur de l’animation (mais c’est très long à faire donc pas forcément adapté pour tout), repousser et proposer du contenu en attendant de sortir le gros du sujet. Pour toutes les sorties qui nécessitent de la vidéo, de la photo, une tournée, une release party importante, on essaie de les décaler en essayant de ne pas se retrouver sur une période surchargée.

On se dit aussi que l’été peut être important. Il y aura moins de festivals, moins d’activité. On réfléchit à peut-être exploiter le mois de juillet, qui est un mois plutôt calme sur les sorties. Avec le digital, il faut peut-être avoir un truc plus régulier et remettre en question les dates classiques stratégiques. Mais dans 2 semaines, je penserais peut être différemment.

De quelles manières les pouvoirs publics et/ou les organismes de gestion (SCPP, SPPF), voire éventuellement le public, peuvent-ils vous aider à traverser cette crise ? Les aides déjà mises en places vous semblent-elles suffisantes ?

Antoine : C’est compliqué mais il faut soutenir, en priorité, les petits, les salles, les artisans car autrement c’est la variété et la diversité (la world music, le jazz) qui vont aussi se réduire. Il n’y aura que les gros qui pourront se produire. Je pense aussi aux techniciens, qu’on a tendance à oublier, qui se retrouvent à ne plus rien faire. Du point de vue du label, je ne me fais pas trop de soucis. Pour le moment, les aides débloquées sont suffisantes.

Ugo : C’est compliqué, parce qu’en tant que label, on est sur des investissements sur des projets en cours. Il y a une latence énorme entre les investissements et la production. La baisse se verra dans 6 mois. Mais, ce qui est sûr, c’est que ça doit être lié avec ce qui va être fait pour les salles et les intermittents. Là où c’est le plus dur, c’est pour la partie événementiel et pour les gens qui travaillent dans le spectacle, il faut vraiment arriver à sauvegarder cela. Il faut que les artistes puisent garder leur statut d’intermittent qui leur permet de vivre. A part trouver un système pour être exonéré de certaines charges (loyer par exemple) et donner de la thune, je ne sais pas trop. Il va falloir trouver des idées créatives, faire en sorte que ça tourne et réfléchir à des solutions de secours. Mais dans ces moments, la culture n’est pas la priorité.

Les tourneurs sont encore plus impactés, leur situation est encore plus alarmante et ils ne savent pas quand leur activité va reprendre. Mais comme l’État ne donne pas de date et de décisions claires, ça ne permet pas de prendre de décisions, tu ne sais pas si tu dois avancer ou annuler. C’est toi qui dois prendre la décision d’annuler et en assumer les conséquences tout seul, ce qui est très dur.

On parle d’un embouteillage des sorties et des concerts à l’automne, qu’en pensez-vous ?

Antoine : Je pense que cet embouteillage n’aura pas seulement lieu en septembre mais durera pendant 1 an, 1 an et demi. Mais, c’est se mettre un doigt dans l’œil de penser que les concerts auront lieu dans des conditions normales en septembre, octobre ou novembre.  Les producteurs et les artistes n’auront pas envie de faire des concerts dans ces conditions. Donc ce n’est pas sûr qu’il y ait un embouteillage à la rentré : qui va avoir envie de sortir un album dans cette angoisse là ? Ça nous emmène à 2021 où il y aura plein d’artistes qui n’auront pas tourné en 2020, plus les sorties d’albums, plus les festivals qui reportent leur programmation en espérant garder le même line up. Donc, si tu sors un album en 2021, tu sais d’avance que tu ne pourras pas être en festival. Les répercussions dureront au delà du premier trimestre 2021.

Ugo : Je ne suis pas sûr que tout reprenne à l’automne comme si de rien n’était. Je ne pense pas que l’embouteillage sera aussi dingue que ça. La vraie reprise sera peut-être en 2021. Pour un artiste en développement, les périodes dites creuses ne seront pas forcément mauvaises, ce sera peut-être plus avantageux, ça vaut peut-être le coup de prendre des risques même si les médias seront moins présents.  Mais pour un projet plus ambitieux pour lequel l’attente est forte, avec un album et une tournée, je serai d’avis d’attendre un peu.

Pour terminer sur une note positive, votre dernier mot pour conclure  ?

Antoine : Dans cette période d’incertitude, il faut se mettre des œillères, sinon, tu ne fais plus rien. Garder la dynamique, ne pas penser aux autres et programmer des choses (et tant pis, si on doit les reprogrammer 3 fois). Soyons positifs et n’arrêtons pas tout.

Ugo : Je suis curieux de voir comment les gens vont sortir de tout ça mais j’ai l’impression qu’on va peut être revenir aux fondamentaux, s’intéresser à des choses plus intéressantes, moins futiles. J’ai l’impression que le monde respire un peu. Ça aura été la seule manière pour mettre le monde en pause, pour réfléchir et mieux repartir. Mais je crains que derrière, ça crée aussi une surenchère et que les gens soient dans une situation de panique.

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