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Épisode #3 – L’industrie musicale à l’épreuve du confinement : les festivals

Épisode #3 – L’industrie musicale à l’épreuve du confinement : les festivals

Face à l’annulation en chaîne des festivals du printemps et de cet été, l’année 2020 sera une année blanche pour les festivals. Cette crise est susceptible de menacer tout un écosystème dont l’économie était déjà fragilisée et dont les conséquences sont encore méconnues.

Romain Renou (Cabourg Mon Amour), Dimitri Sourie (Pete The Monkey) et Natacha Batoussova (La Crème Festival) et François-Xavier Levieux (Vie Sauvage) nous ont fait part de la manière dont ils ont dû gérer l’organisation de leurs festivals, de leurs incertitudes ainsi que leurs sentiments face à ce contexte inédit.

Quelques mots pour présenter votre festival ?

Romain : Le festival Cabourg mon Amour a été crée en 2012 pour promouvoir les jeunes artistes en développement, de tout style (pop, rap, électro, hip hop…) et mettre en avant les artistes locaux, dans la mesure du possible, en proposant un lieu, une scénographie, des activités, des expériences originales, des animations, des espaces food et bar, dans un cadre à taille humaine (notre jauge est de 3 000 personnes), avec 2 scènes qui jouent en alternance.

Dimitri : Fondée à la suite d’une vidéo devenue virale, l’association Pete The Monkey a pour but de récolter des fonds afin de financer la construction de la plus grande réserve de singes en Bolivie (JACJ CUISI) qui accueille les animaux victimes de la déforestation et des trafics lucratifs illégaux. Depuis 2012, Pete The Monkey donne rendez-vous à des milliers de festivaliers sur la côte normande (à Sain Aubin sur Mer) le week-end du 14 juillet pour 3 jours de festivités !

Natacha : La Crème Festival est un festival de musique et d’art de vivre, créé en 2019, à Villefranche-sur-Mer, à 10 minutes de Nice lovée dans une rade préservée aux eaux turquoises et aux façades pittoresques. Le festival fait la part belle à l’art de vivre azuréen et à la scène émergente musicale française. L’atmosphère y est bienveillante et festive. En journée, nous proposons des activités sur la plage et dans Villefranche : yoga, paddle, pétanque, beach parties. Le soir, les festivaliers migrent vers la citadelle, surplombant la baie, pour des concerts à ciel ouvert, accueillis sur trois scènes.

Dès la première édition, les meilleurs artistes français ont répondu présents : Bon Entendeur, Corine, Cut Killer, Kazy Lambist, MYD, Breakbot & Irfane. En 2020, nous attendons entre autres : L’Impératrice, Pedro Winter, Jil is Lucky, Crystal Murray, Videoclub, Catastrophe, Sally, Jean Tonique

FX : Le Vie sauvage est un festival créé en 2012, sur le village de Bourg sur Gironde, dans une magnifique citadelle fortifiée. Festival pluridisciplinaire, nous sommes ouverts à la musique indépendante, danse, photo, arts culinaires etc. C’est un event à taille humaine (2000 places) où les artistes côtoient le public, l’ambiance est très familiale.

 

Alors que l’été approche, la quasi-totalité des festivals a été annulée. Comment avez-vous géré l’incertitude qui planait jusqu’aux interventions du Président et du Premier Ministre du mois d’avril ?

Romain : Dès le début du mois de mars, on s’était préparés à l’hypothèse de l’annulation. Dans les têtes, c’était un premier pas qui était fait et qui a permis d’anticiper les grandes questions et les choses à faire si cette annulation devait être actée. Quoiqu’il arrivait, il aurait fallu prendre une décision car pendant ce temps on ne travaillait plus, on perdait du temps sur l’orga, la prod. Les annonces qui ont été faites ont accéléré les choses en permettant de trancher une bonne fois pour toute, d’enchainer avec une communication dédiée et de mettre en place les remboursements. La bonne décision était de choisir les dates de 2021 qu’on a ensuite directement annoncées.

Maintenir un festival sans certitude, c’est aussi une contrainte de gestion du public, de sécurité. Ça peut très vite être des couts supplémentaires.

Dimitri : La situation était / est compliquée car nous manquons de visibilité. En effet, il existait un flou autour des grands rassemblements (nombre de personnes max et période concernée). Nous avons cependant continué à travailler normalement en restant optimistes et en continuant nos réunions d’équipes régulières.

Natacha : Nous comprenons les décisions qui ont été prises. L’objectif prioritaire reste la santé publique avant l’organisation d’une manifestation culturelle.

Notre festival était initialement prévu mi-juin. Suite aux annonces de notre gouvernement, nous avons pris la décision de repousser le festival à une date ultérieure durant l’été. Le format de notre festival, à taille humaine, nous permet d’être plus flexibles et d’observer l’évolution de la situation pour fixer la nouvelle date dans le respect des impératifs sanitaires.

Les festivaliers se sont montrés du plus grand soutien, ce qui nous motive encore plus pour être à la hauteur des attentes et livrer le plus bel événement possible, dans les meilleures conditions de sécurité.

FXVie sauvage étant un « petit » festival, nous avons attendu les annonces avant de se fixer sur l’annulation de cette édition. Nous avons mis en stand-by les devis et négociations diverses pendant la période de doute car nous ne savions pas où cela allait nous mener. Nous avons aussi travaillé un scénario avec un vie jauge jauge 500 out 1000 places voir si c’était possible, mais l’état à couper court nos projets le 13 avril !

Comment vivez-vous l’annulation de l’édition 2020 ? Pouvez-vous nous parler des impacts directs et/ou indirects de cette crise sur votre festival ?

Romain : Une annulation, c’est triste. Au delà de tout le boulot que ça représente, c’est toujours un moment sympa et agréable. On n’aura pas cette période de l’année en 2020. On s’y était un peu préparés donc ce n’était pas trop brutal. Pour les conséquences directes, c’est du travail fait qui est, en partie, perdu (comme le travail de programmation), c’est du temps passé inutilement. Pour les conséquences indirectes, ce sont les remboursements à mettre en place, la communication sur l’an prochain en précisant les dates directement avec la ville de Cabourg. C’est se projeter plus vite que prévu sur l’an prochain. Il y a aussi les intermittents, les techniciens qui sont d’autant plus touchés avec toutes les annulations, c’est forcément un coup dur pour tout le monde.

FX : C’est très difficile de travailler autant pour tout annuler en quelques minutes, surtout avec une petite équipe essentiellement bénévole. Nous gardons le moral car nous pensons survivre à cette crise , les pertes financiers sont importantes mais pas assez pour nous couper l’envie de continuer l’aventure Vie Sauvage .

L’impact direct est financier car toutes la communication a été payée en 2019…

L’impact indirect est surtout le moral des équipes qu’il va falloir re-motiver en cette période de crise.

 

Quelle est votre stratégie pour pouvoir reporter votre festival toujours sur 2020 ?

Dimitri : L’intervention du Président nous a forcés à annuler le festival sur le week-end du 14 juillet. On réfléchit donc à un report début septembre, avec une jauge plus petite. Cependant là encore, nous manquons de visibilité et nous sommes un peu dépendants des futures annonces. Nous avons donc acté de prendre une décision finale fin mai. Il ne s’agit pas de s’acharner mais plutôt de s’adapter.

Natacha : Nous avons foi en ce que la situation sanitaire s’améliore et que l’événement puisse avoir lieu cet été. Pour mettre un maximum de chances de notre côté, nous avons envisagé plusieurs dates en fonction de l’évolution de la situation. Nous continuons à travailler activement pour préparer l’évènement et être prêts à le produire en un temps record, lorsque les autorités nous donneront le GO.

Nous avons la chance de pouvoir compter sur le soutien du Maire de Villefranche-sur-Mer, Christophe Trojani,  qui est bien au fait de la situation sanitaire puisqu’il est professeur de médecine à Nice, ainsi que sur nos partenaires, notamment la Villa Schweppes et Greenroom, soutiens majeurs des festivals de musique en France.

Comment allez-vous procéder pour l’année prochaine ? Que ce soit au niveau de la programmation, des partenariats, etc…

Romain : Toute la programmation est perdue. On ne peut pas reconfirmer dès maintenant certains artistes pour l’an prochain, on devra refaire le travail de négociation. Le seul avantage, c’est qu’on pourra communiquer plus tôt pour l’année prochaine (en septembre), annoncer la remise en vente des billets et recommuniquer sur une nouvelle programmation petit à petit. On avait envisagé de nouvelles choses pour cette année avec une nouvelle implantation du site (redisposition des scènes, des bars). On va continuer dans cette démarche pour proposer une nouvelle offre en 2021. Le travail d’orga et de prod en off n’est pas perdu mais simplement décalé.

D’un point de vue relationnel, on a des partenaires fidèles et de long terme qui seront présents l’an prochain. Le travail de recherche de sponsors, de partenaires médias et locaux sera à recommencer ou à poursuivre pour l’an prochain, en espérant qu’ils aient toujours l’envie et les moyens de soutenir des festivals.

Dimitri : À cette heure-ci, on espère encore pouvoir communier avec nos festivaliers cette année (encore une fois, tout en respectant les règles sanitaires), sinon on fera tout pour rendre l’édition 2021 plus belle que jamais. En ce qui concerne la programmation et les partenariats, on devra revoir les budgets en fonction de l’impact financier qu’a une année blanche comme celle-ci (si on ne peut pas faire de report), mais on fera notre maximum pour offrir la meilleure expérience possible à nos festivaliers.

De quelle manière pensez-vous que les pouvoirs publics et le secteur privé (notamment les assurances) peuvent-ils vous aider à faire face à cette crise ?

Romain : L’État pourrait intervenir à travers des aides et des subventions. A voir de quelles façons, avec quel calculs et via quelles démarches. Selon les départements, régions et municipalités, il y a des décisions qui sont prises pour accompagner les événements, dans la mesure du possible, à hauteur des dépenses déjà engagées. Ce sont des démarches toujours en cours et qui risquent d’être assez longues. D’un point de vue assurances, c’est encore du cas par cas, selon les assurances souscrites par chacun des événements et leurs besoins. Tout va être long et compliqué pour tout le monde.

Greenroom qui, malgré l’annulation, nous soutient et on travaille à des idées de contenus, de choses assez fun pour cette année. C’est une manière de soutenir les festivals sur lesquels ils sont partenaires. On réfléchit à des idées pour continuer à proposer des trucs cools aux festivaliers tout le long de l’été, même s’ils ne pourront pas se retrouver, comme chaque année, sur les festivals.

Dimitri : Contrairement aux gros festivals, on a un modèle un peu différent et nous ne faisons pas face aux soucis évoqués dernièrement avec les assureurs. En revanche, notre démarche étant de récolter des fonds pour l’association JACJ CUISI, nous encourageons les festivaliers à nous aider dans cette démarche en soutenant l’association directement !

Natacha : La majorité des festivals est portée par des associations, des gens passionnés qui font ça par amour de la musique et souhaitent créer de beaux événements. Les pouvoirs publics ont clairement un rôle à jouer en soutenant financièrement la vie culturelle dans notre pays.

Le gouvernement milite pour que les assurances participent à l’effort collectif et, bien évidemment, nous voyons ça d’un bon œil.

FX : Les assurances ont très mauvaise réputation en ce moment, surtout dans le secteur des festivals (le Hellfest à mis en avant de graves dysfonctionnements). Je n’attend pas grand chose de ce coté là. L’état nous a aidé un peu avec les 1500€ mensuels, mais c’est peu pour les pertes sèches que nous vivons. Nous sommes en contact avec le CNV et le département pour débloquer des aides, nous attendons des réponses de ces institutions en espérant que ce soit positif !

Selon vous, quel est l’avenir des festivals et plus globalement du spectacle vivant ? 

Romain : Je pense que ça va mettre du temps à repartir. Une partie de la population aura peut-être cette appréhension de se retrouver enfermée avec 5 000 personnes dans un zénith avec des risques de contamination. Mais, il y a aussi l’envie de retrouver les salles et les artistes. Donc, il y a un peu les 2 écoles.

D’un point de vue festival, il y a les grosses machines. Pour certains, ce sera peut être un peu étrange d’aller dans un festival de 80 000 personnes . Peut-être que les gens se rabattront sur des choses à plus petite échelle, à taille humaine.

D’un point de vue off, organisateur, il y a toujours cette incertitude de travailler 1 an sur un événement qui dure quelques jours et se voir obliger de l’annuler quelques semaines avant à cause de nouvelles actus, comme celle de cette année. Un festival se tient sur 3 jours donc quand c’est annulé, c’est tout de suite d’autant plus catastrophique.

Dimitri : L’écosystème des festivals va être fortement touché, mais on fait confiance au public et aux festivaliers pour soutenir l’ensemble des festivals dans les mois et années à venir.

Natacha : Nous sommes un petit évènement sur la Côte d’Azur, donc je vois cela avec un prisme très local. Pour son prochain mandat, le Maire de Nice, Christian Estrosi, a annoncé qu’il allait mettre l’accent sur la culture et en faire une priorité. C’est une chose qui va dans le bon sens pour aider une industrie qui est dans une situation économique compliquée. C’est clairement une bonne initiative notamment pour l’événementiel culturel sur le territoire de Nice et de la métropole Nice Côte d’Azur.

La culture au sens large ne doit pas être sacrifiée dans un contexte sociétal qui repense justement ses priorités.

FXVie sauvage a une programmation en quasi-totalité française, nous n’avons donc pas trop de soucis sur les frontières et les groupes étrangers. Notre jauge étant réduite, je pense que 2021 devrait se dérouler dans de bonnes conditions, à condition de faire des efforts sur l’accueil sanitaire du public. 

Le souci est pour moi vraiment centré sur les « gros » events (We Love Green,  Garorock, etc.), il sera impossible d’appliquer les mesures barrières. Ces festivals sont des liens sociaux, alors que les recommandations sont au contraire en train d’éloigner les gens, c’est assez inquiétant et je leur souhaite du courage pour 2021.

Pour terminer sur une note positive, un dernier mot pour conclure  ?

Romain : Rendez-vous le plus vite possible en 2021 pour tout le monde, pour tous les festivaliers et tous les festivals.

Dimitri : Cette situation est l’occasion pour l’homme et pour le secteur du spectacle vivant de revoir notre rapport à l’environnement et aux impacts que l’action de l’homme peut avoir sur les autres et le reste de la planète. Cela nous donne encore plus envie de sensibiliser notre communauté au travers d’évènements inspirants !

Natacha : Cette crise a eu pour effet positif de mettre l’humain au centre des préoccupations et de nous interroger sur nos essentiels. Elle a aussi montré le sens de solidarité de notre société, dans une époque de doutes sur nos valeurs.

Du point de vue individuel, de toutes parts, nous avons vu émerger des initiatives créatives. C’est fou comme les gens se sont montrés prolifiques et imaginatifs durant ce confinement pour ne pas perdre le lien et continuer à créer, aidés par les réseaux sociaux.

A notre niveau, nous avons participé au Lockdown festival en partenariat avec Tealer et la Villa Schweppes sur 2 samedis, en offrant du contenu musical et lifestyle à suivre en ligne, à partir de son salon.

Nous avons de beaux jours devant nous et avons hâte de pouvoir nous réunir à nouveau pour célébrer tous ensemble la culture et la fête.

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