Épisode #5 – L’industrie musicale à l’épreuve du confinement : les attaché.e.s de presse
Rédactrice Photographe Responsable partenariat Paris
Rédacteur en chef, Fondateur
Les attaché.e.s de presse représentent les porte paroles d’un artiste, d’un projet ou d’une salle de concerts auprès des médias (TV, presse écrite, radio et web). Leur rôle principal : faire connaître une sortie de disque, un événement ou une tournée. Leur mission : convaincre les journalistes de s’intéresser à l’artiste qu’ils promeuvent et de relayer son actualité dans leur média.
Souvent inconnu.e.s du grand public, les attaché.e.s de presse, dont la situation est également préoccupante, constituent l’un des maillons essentiels de l’écosystème musical. Élodie Mathieu, Gwendoline Chapelain et Rémi Laffitte, grâce à qui nous avons découvert une multitude d’artistes talentueux issus d’univers différents, nous ont expliqué les impacts du confinement sur leur métier de l’ombre.
Pour commencer, quelques mots pour vous présenter ?
Élodie : Je suis attachée de presse indépendante. J’ai monté ma boîte de promotion et de coordination promo qui se nomme Grabuge Agency il y a 3 ans après plusieurs mois de collaboration avec la dream team de Cécile Legros et Anne-Sophie Mondaud. Je m’occupe de la promotion web de différents projets artiste comme AaRON, Agnès Obel, Malory… mais également de la coordination promo et parfois de la promotion web de plusieurs festivals en France : Le Printemps de Bourges, La Magnifique Society, Fnac Live Paris, Les Francofolies de La Rochelle, Villette Sonique…
Gwen : Je m’appelle Gwendoline Chapelain, mais on m’appelle le plus souvent Gwen. Je suis attachée de presse indépendante depuis 4 ans, mais je travaille dans la musique depuis 12 ans. J’ai fait partie de l’équipe des iNOUïS du Printemps de Bourges pendant 8 années.
Rémi : Je suis attaché de presse indépendant depuis quelques années déjà. Dans une autre vie (celle où on faisait des tops sur Myspace), j’ai également bossé en agence de com. Ces derniers temps, je travaille pas mal pour des festivals et des events comme MOFO, Sonic Protest, Le Beau Festival, Le Marché des labels indépendants, Restons Sérieux, Baignade Interdite…
Depuis novembre dernier, je m’occupais également des RP de l’International et bien évidement, je fais de la promo pour des groupes/labels (October Tone, Buddy Records, Montagne Sacrée… pour n’en citer que quelques-uns). A côté de ça, je m’occupe des labels Atelier Ciseaux et Géographie (avec Nicolas Jublot) et je suis président d’honneur du « Teckels fun club du 20ème ». Musique de niche et passion chiens !
Comment avez-vous vécu votre confinement ?
Élodie : J’ai vécu mon confinement à Paris dans mon deux pièces sans balcon, sinon ça serait trop beau. Je l’ai plutôt bien vécu comme j’ai l’habitude de travailler de chez moi en étant indépendante et je n’étais pas seule dans cet enfermement. Après j’avoue que moralement, il y a eu des moments de doute, d’incompréhension, de déception puisqu’au niveau professionnel, la situation s’est dégradée de plus en plus au fil du temps.
Gwen : Pas trop mal. La solitude a été un peu pesante (je suis à Paris, seule dans mon petit appart). Évidemment, mes proches m’ont manqué énormément. Mais le confinement, en soi, n’a pas été un gros changement par rapport au reste de l’année car je passe beaucoup de temps devant mon ordi ou au téléphone pour le boulot. Cependant, il me tarde de reprendre la route des festivals et des salles de concerts avec les équipes (je fais entre autres de la promotion locale et régionale dans le cadre de tournées).
Rémi : Définitivement comme « Un jour sans fin » avec une petite touche de « Maman, j’ai raté l’avion ». Enfin, plus précisément ce moment où Kevin descend dans la cuisine et se demande ce qui se passe/s’est passé. Pour moi, tout ça est devenu vraiment réel le 13 mars. J’ai passé une étrange journée entre le bureau de l’Inter et Bagnolet, où devait avoir lieu l’une des soirées du Sonic Protest. A ce moment là, on était bien conscients de l’importance de tout stopper au plus vite mais on n’imaginait pas l’impact à venir sur la culture et plus globalement sur nos vies.
J’ai essayé de prendre les premiers jours avec sérénité et insouciance. Terminer quelques bouquins, développer une carrière semi-pro à Mario Kart, entrecoupé de beaucoup de discussions. Et puis, peu à peu, le stress et l’angoisse ont pris le dessus. J’ai vécu tout l’opposé du confinement romantique-yoga master-apprenti boulanger qu’on a pas mal essayé de nous vendre. Quand tu vois ton année pro (et donc tes revenus) se casser chaque jour un peu plus la gueule, t’as beaucoup de mal à penser à autre chose. Et ce sentiment d’impuissance, c’est assez violent.
Mon confinement se résume au final à beaucoup de séries, beaucoup d’attente, de réflexions sur des possibles plans B, C voire même D. Entre motivation, doutes, envies, frustrations, haut, bas, bas, haut… et un peu de taf également ! J’ai beaucoup suivi les infos, les annonces… ce que je faisais déjà pas mal depuis le début d’année. Au-delà de l’impact que cela peut avoir sur ma condition, mon milieu, mon métier, c’est vraiment flippant quand tu penses au désastre social qui nous attend si on reprend simplement nos vies comme avant.
Quels ont été les impacts directs et/ou indirects de cette crise sur la promo des artistes dont vous vous occupez ?
Élodie : Cette crise sanitaire a eu un impact direct sur mon activité, car de février à juillet, en général, je travaille sur les festivals. Je prends très peu de projets artiste à cette période là car c’est un moment assez intense comme j’enchaîne 5 festivals.
En mars, la crise a commencé à pointer le bout de son nez et a commencé à mettre quelques doutes concernant la tenue du Printemps de Bourges. C’était une situation inhabituelle donc on vivait un peu au jour le jour en attendant les directives du gouvernement. C’était un peu avec la boule au ventre que je me rendais au bureau de peur d’apprendre l’annulation du Printemps de Bourges et c’est arrivé. C’était bien entendu la décision la plus responsable qu’on pouvait prendre mais moralement, devoir renoncer à une édition du festival était compliqué parce que c’est un événement majeur dans le paysage de la musique et c’est l’occasion de voir tout le monde du milieu, de faire de nouvelles rencontres, de découvrir de nouveaux artistes etc.. Donc, très frustrant d’en arriver là.
Mais, après cette annonce, j’espérais reprendre du poil de la bête en travaillant sur la Villette Sonique, la Magnifique Society, le Fnac Live Paris et les Francofolies de La Rochelle. Malheureusement en avril, le gouvernement a balayé tout espoir : aucun festival n’aura lieu avant mi juillet. Décision qui est totalement juste mais bien dure à encaisser.
Côté artistes, avec ceux pour qui je travaille en ce moment, on a essayé de faire des choses à distance. J’ai la chance de travailler les relations presse web. Les médias sont toujours actifs et très créatifs pour trouver des alternatives dans les formats (phoners, skype, enregistrements de lives etc…).
Gwen : Le premier impact a été l’annulation des festivals. Quand l’annonce de l’interdiction des regroupements de plus de 100 personnes a été officialisée nous débutions au festival Nouvelle(s) Scène(s) à Niort qui démarrait la veille. Difficile émotionnellement d’annuler le jour J. S’en est suivi le Printemps de Bourges que je rejoignais cette année, après 4 ans d’absence, pour une mission hors RP, ensuite Biches Festival dont on avait hâte de fêter les 5 ans en juin avec toute l’équipe et enfin un festival de musique électronique de juin à septembre avec qui je démarrais une collab.
Les lives : par exemple Yuksek qui a sorti son dernier album fin février et dont toutes les dates ont été annulées, ou encore Arigato Massaï qui avait annoncé la release party de son nouvel EP en avril au Point Éphémère puis reporté en juin, puis finalement ?… Le concert est une sorte d’aboutissement pour un artiste. C’est hyper frustrant pour eux mais également pour les personnes qui les entourent (managers, tourneurs, équipes techniques, nous RP… ) de ne pas voir l’échange avec leur public.
Toute la partie live, la plus joyeuse, qui est au final un peu la chose la plus précieuse dans nos métiers, a complètement disparu. Il y a peu, un ami directeur technique me disait : « le public me manque ». Voilà, je pense que c’est le sentiment que nous partageons tous.
Cependant niveau « disque », les artistes avec qui je travaille n’ont pas souhaité décaler les sorties prévues (et je pense qu’ils ont bien eu raison !). Don Turi présente de nouveaux singles en avril/mai, Irène Dresel présente son nouvel EP en mai, ou encore Ojos ses deux premiers titres… et j’ai eu la chance, dès le début du confinement, d’avoir été contactée par Arnaud Rebotini qui a décidé de présenter le concept « This is a quarantine » avec un titre par semaine représentant l’actualité du moment.
Certaines promo sont aujourd’hui impossibles à faire, particulièrement en télé ou radio. La presse papier a beaucoup laissé place au numérique. Cette crise touche tout le monde et les médias se sont adaptés au maximum pendant le confinement. Des nouveaux formats d’interviews apparaissent par exemple.
Tous essaient de tenir le coup face à cette crise et innovent. Je trouve ça assez beau de voir tous ces efforts communs pour ne rien lâcher et faire vivre la culture sous d’autres formes.
Rémi : Je ne suis pas certain d’être le mieux placé pour répondre à cette question car durant cette période, j’avais calé très peu de promo d’artistes…
C’est une véritable hécatombe pour les festivals. Le bilan est particulièrement lourd ! Quel est votre sentiment ?
Élodie : Oui en effet, situation inédite de voir tous ces festivals annulés. C’est tout un cycle qui est coupé net. Pour moi, c’est un moment important puisque ça représente 53% de mon activité. On reste forcément impuissant devant cette situation mais c’est malheureusement la solution la plus intelligente et responsable. Je regrette juste que le gouvernement ait mis autant de temps pour se positionner sur la question du maintien ou non de ces événements. Ça a mis beaucoup de festivals dans des situations compliquées : ne pas savoir quoi dire à son public, ne pas savoir si lancer le montage de son festival est judicieux, laisser toutes les équipes dans le flou … En espérant qu’en 2021, tout ça ne soit qu’un mauvais souvenir. Il va falloir en tirer des conclusions et commencer à apprendre à vivre autrement au niveau sanitaire.
Rémi : Un véritable parcours de dominos digne des meilleures vidéos du genre sur Youtube. Avec Sonic Protest, on a sans doute été l’un des premiers dominos à tomber. Le festival a dû s’arrêter après seulement 5 dates sur les 12 prévues. Entre les annulations progressives et les premières annonces, on l’a vu arriver doucement mais sûrement. Même si tu t’y prépares, c’est quand même quelque chose de voir tout ce boulot de plusieurs mois s’effondrer aussi vite. (Si jamais, il y a une cagnotte de soutien jusqu’au 2 juin).
Au même moment, je commençais tout juste à bosser sur le Beau Festival qui devait se dérouler mi-mai. Avec le flou maintenu, l’envie d’avoir envie d’y croire, on a gardé un peu d’espoir jusqu’à se rendre à l’évidence et annuler. On comprend tous très bien pourquoi il est nécessaire d’annuler ce genre de rassemblements. Le problème, c’est la manière et l’amateurisme avec lesquels cela a été fait. Sans mauvais jeu de mots, un festival d’incohérences, de n’importe quoi et de non considération. Il y a eu un communiqué de l’UFISC qui résume très bien tout ça.
L’important dans tout ça, c’est aussi d’éviter la division (bien sûr, c’est valable pour tout le reste). Petits ou gros festivals, pros ou amateurs… personne ne devrait être oublié. Il est important qu’en France se côtoient des festivals comme Le Hellfest, Visions, Nuits Sonores, Mofo… et tant d’autres. Outre le fait qu’ils font la diversité de la culture, ils ont tous leur place, leur importance et surtout ils font tous vivre un écosystème.
Pour la suite, on va attendre les prochaines annonces, en espérant y trouver une vraie réflexion. Il ne faut pas se voiler la face, c’est une crise complexe à gérer… J’espère juste qu’on n’aura pas sacrifié un tas d’événements pour nous proposer, dès la semaine prochaine, d’aller à Walibi.
De mon côté, le seul festival sur lequel je travaille et qui est pour le moment maintenu, c’est Baignade Interdite qui doit se dérouler mi-septembre à Rivières. Ils ont envie de continuer d’y croire et tant mieux, ça fait un bien fou. En plus, ce serait leur dernière édition dans l’ancienne piscine municipale de la base de loisirs d’Aiguelèze. J’espère vraiment que ça va se faire, ce serait chouette !
Comment envisagez-vous l’après confinement ? On parle d’un embouteillage des sorties et des concerts, qu’en pensez-vous ?
Élodie : L’après confinement, je ne sais pas trop. J’essaye de ne pas faire de plan pour le moment. On pensait que cette crise durerait quelques semaines/mois ; finalement on nous parle d’un an avant d’avoir un vaccin donc trop prévoir ne sert à rien je pense. On va la faire à la rock n roll en espérant qu’en septembre, on puisse vivre plus ou moins normalement en sachant dompter cette situation. Tant qu’on aura pas la certitude de la fin de cette crise, je ne pense pas qu’un embouteillage se profile. Je ne vois pas comment un artiste puisse avoir envie de sortir son projet s’il n’a pas la certitude derrière de pouvoir monter sur scène. Les concerts seront malheureusement la dernière chose qui sera remise en marche donc je crains que la reprise soit en 2021. Ce qui n’est pas forcément bon pour tous les corps de métier dans la musique.
Gwen : J’ai une tendance à dire « on verra ». Je crois que la période est encore beaucoup trop floue pour se projeter. J’espère juste que les artistes vont continuer à produire, à sortir de la musique. Les reports de concerts et de disques auront forcément un impact sur nos agendas et nos méthodes de travail mais j’espère aussi que nous serons tous assez solidaires pour travailler en toute intelligence tous ensemble.
Rémi : Avant même d’essayer d’imaginer la promo du futur, ce qui m’inquiète le plus c’est le bilan de fin d’année qui se profile. Combien de structures, de festivals, de salles, d’attaché.e.s de presse… ne vont peut-être pas s’en remettre ? Il y a déjà beaucoup de choses qui sont très fragiles, tenues à bouts de bras et avec passion.
Sinon, pour revenir à ta question, il risque en effet d’avoir un gros rush de sorties en fin d’année mais c’est déjà souvent le cas à cette période… Ça va sans doute être plus sport mais tout le monde va être aussi motivé de retrouver un peu de « normalité ». Pour les concerts, la reprise serait peut-être envisageable à partir du 22 juin… Après concrètement comment cela va se passer ? Je crois que tout le monde se pose la question.
Le métier d’attaché.e.s de presse n’est jamais mentionné dans les annonces faites par le gouvernement concernant la culture. Que penses-tu de la lettre qui a été adressée par les attaché.e.s de presse indépendant.e.s au Président du Centre National de la Musique (CNM) afin d’être inclus dans le dispositif d’aides qui sera mis en place ?
Rémi : C’est une demande qui me semble complètement logique et légitime (merci encore aux personnes à l’origine de cette démarche !). Ce métier – quasi invisible – d’attaché.e.s de presse, très souvent méconnu par beaucoup, fait partie intégrante de l’écosystème culturel. Chacun prêche pour sa paroisse, c’est normal et humain dans un moment comme celui-ci, mais c’est vrai que cela fait clairement partie des métiers oubliés dans les mesures et annonces de soutien à la culture.
Après, pour aller un peu plus loin, beaucoup de ceux/celles qui exercent ce métier le font via des structures assez fragiles. Comme pas mal, je suis auto-entrepreneur ; un autre terme qu’on n’a pas beaucoup entendu non plus ou alors, vite fait. Pourtant, ce statut concerne beaucoup de gens en France et cela quelque soit le domaine. C’est un statut pas simple et qui peut vite, parfois, être précaire. Il faut quand même reconnaitre que des aides ont rapidement été mises en place. Un peu maladroitement, comme le statut, mais elles étaient là. Le problème c’est plus l’après mois de mai. Tout le monde ne va pas reprendre son activité du jour au lendemain…
Pour terminer sur une note positive, votre dernier mot pour conclure ?
Élodie : On m’a toujours dit qu’à chaque problème a sa solution. Ça sera le cas, on a la chance de travailler dans un milieu de création. Soyons créatifs pour s’en sortir.
Gwen : On est tous dans le même bateau, la musique est encore là pour nous réconforter et nous apporter du plaisir même si ce n’est pas sur un festival, dans une salle de concert, avec nos amis. Mais, gardons les yeux et les oreilles ouverts sur tout ce que les artistes et les médias proposent en ce moment et toute la créativité que le confinement engendre.
Rémi : De manière générale, j’espère que l’on va tirer de vraies leçons de tout ça, qu’on ne va pas juste reprendre nos vies, nos loisirs, nos métiers… comme si de rien n’était. Cette « crise », c’est clairement un petit coucou du futur.
Même si j’ai perdu pas mal de contrats dans la bataille Covid-19, à aucun moment je n’ai perdu l’envie de faire ce métier. Et c’est le plus important. Avec un ami, on pense même à s’associer pour faire de la promo en duo. C’est sans doute une idée qui n’aurait pas vu le jour dans « le monde d’avant ».
Il se passe un paquet de belles choses, que ce soit au niveau des groupes, des labels ou des lieux. Et ça va continuer, aucun doute là-dessus.