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Interview : Fakear

Interview : Fakear

A l’occasion de la sortie de Talisman et quelques jours après le début de sa tournée, nous sommes partis à la rencontre de Fakear le temps d’un échange enrichissant sur l’ensemble de sa carrière !

Salut Théo ! Comment vas-tu avec la récente sortie de ton album et le début de la tournée ?

Et bien un peu mieux qu’au tout début de la tournée ! Pour tout te dire, la création d’un album et la tournée ce sont vraiment deux étapes très différentes de création : une fois que l’album était terminé, je m’étais dis « OK, là c’est bon, j’ai accompli cette partie de la mission« . C’était déjà très éprouvant… Je ressentais un sentiment de vulnérabilité d’être dans cette phase de création donc une fois terminé il y a eu un réel soulagement.

Ensuite, il y a la création du spectacle et ça c’est vraiment un truc à part et très très chronophage, extrêmement énergivore ! C’est un moment vraiment coûteux parce qu’en fait il y a plein d’étapes avant qu’un live soit debout et fonctionne à pleine balle. Il y a toute la partie son, toute la partie lumière que l’on travaille séparément. C’est à dire que tu as toute une phase où je vais être en tête à tête avec mon ingé son, dans une salle de concert où on écoute le show et puis on place les différents éléments.

Ça, c’est ce qu’on appelle une résidence, non ?

Exactement ! Et du coup, on fait une résidence de son et une résidence pour la lumière. Pour le coup, les lumières c’est plus reposant pour les oreilles mais on en prend plein les mirettes. Et ensuite, il y a la résidence filage. Là, on se met dans les vraies conditions de spectacle et on répète le show jusqu’à ce que ça rentre, etc. Et du coup, ça a été très très très éprouvant alors que la tournée n’avait même pas démarré ! Tu finis déjà toute cette phase de création un peu sur les rotules et là, bam, la tournée démarre. Il y a tout le monde, toute l’adrénaline qui revient mais surtout aussi tout l’amour du public. C’est un truc vraiment incroyable ! Au début de la tournée, il y a eu ce truc de de passer un peu les dates “pression”.

 

La première date c’était Caen, chez moi. C’était symbolique et cool d’ouvrir la tournée en étant dans ma ville natale et en même temps c’était super stressant. Ouf ! C’était un véritable checkpoint. Ensuite, il y a le Trianon qui arrivait avec notamment des pros et des médias et tu te dis que tu es un peu attendu au tournant parce qu’il y a tous ces invités à gérer et tous les autres guests qui viennent généralement sur la date parisienne. Ça a été un sacré stress et après avoir passé cette date je suis tombé malade… Je dormais, je buvais beaucoup de kombucha, et enfin je me sens en grande forme ! 

C’est intéressant de t’entendre parler de toute cette préparation en amont, en résidence. On ne s’en rend pas vraiment compte mais il y a des longues semaines de préparation en fait !

Un bon mois même ! En fait, il y a eu un mois de préparation type résidence de live et un mois d’écriture pure et dure. On écrit la façon dont je souhaite amener le show, ce que j’ai envie de raconter, comment j’ai envie d’amener les gens là pour ensuite les retenir avant de lâcher un truc de ouf. Construire une espèce de voyage, un délire !

Trop chouette. En tout cas je suis content de te recevoir à un moment plus reposé ! 

Grave ! C’est avec plaisir !

On te connait depuis plusieurs années maintenant mais comment définirais-tu Fakear ?

Je ne sais plus avec qui j’ai récemment parlé de ça mais cette personne me disait que je faisais de l’électro naturelle, organique. Il y a effectivement un petit peu de ça. C’est à dire que dans les projets de musique électronique qui émergent je vois de plus en plus deux catégories distinctes. Il y a la musique électronique qui va beaucoup se servir de samples, qui s’inspire du beatmaking du hip-hop avec des sons très découpés et il y a la musique électronique très geek avec des machines, plein de synthés, un truc analogue qui est super ! Moi je pense pencher quand même plutôt du côté « sample hip-hop » même si je n’ai pas forcément la culture du hip-hop. Mais c’est cette manière de faire qui m’a séduit, notamment parce que je suis un instrumentiste à la base et pas vraiment un geek des machines. C’est vraiment après que j’ai intégré la phase technique dans mon processus de création.

 

Ma musique tend vers un truc naturel, très organique. En fait, j’ai envie d’amener de l’inexactitude dans les machines, de faire un truc qui sonne humain, qui sonne un peu… « Organique », c’est le bon terme. Je fais de l’électro organique !

Tu parles de ton processus créatif et justement, au fil de tes albums, on entend des sonorités ethniques, orientales, qui viennent un peu des quatre coins du monde. Comment ça se passe ? Tu vas enregistrer toi-même des choses un peu partout dans le monde et tu assembles tout dans Ableton après ?

Je voyage beaucoup avec la tournée et puis c’est un truc que j’adore faire mais je t’avoue que je prends les voyages davantage comme une expérience humaine que inspirante musicalement parlant. Personnellement je ne vais pas me balader partout avec mon micro et enregistrer des trucs qui viennent de chaque pays. Je suis plus de l’école du « digging ». Que ce soit à travers des disques vinyles, des vidéos sur YouTube, des trucs vraiment pourris en terme de qualité, etc… C’est de ça que je puise mon inspiration. Dans ma musique il y a des instruments qui viennent de la musique traditionnelle asiatique. Ça va évoquer certaines images, certaines émotions, certaines couleurs, certaines odeurs. C’est de ça dont je me sers. Et du coup, mes sources d’inspiration sont très imaginaires, souvent basées sur les BDs, le cinéma, les jeux vidéo. Pour tout te dire je suis un gros consommateur de jeux vidéo et je m’évade grâce à ça, un peu comme si je lisais un livre ! Et d’ailleurs, Talisman est un peu construit comme un Zelda. C’est un album dans lequel tu te balades avec les animaux dans la forêt, dans le temple du désert, dans la montagne, dans la lave… Il y a un truc un petit peu comme ça que j’aime bien construire avec plein de petits paysages ! Et du coup, les instruments traditionnels me servent à générer ces images là dans l’inconscient des gens.

C’est ce que j’allais dire ! Quand on écoute ta musique, on arrive facilement à se projeter. Qu’on écoute ta musique dans un train, dans un métro ou même en live, je trouve que l’on visualise beaucoup de choses.

Ouais, c’est très visuel finalement. Et j’adore que les gens ressentent ça ! 

On va parler de ton album Talisman qui vient de sortir. On a l’impression de ressentir un retour aux sources ainsi qu’un lâcher-prise avec cet album. Même dans ta communication, tu postes des petits contenus organiques où l’on voit les derrières de la tournée, tes copains et tes musiciens. Dans quel état d’esprit as-tu composé ce disque ?

C’est même plus que revenir aux racines ! Je me suis senti un peu libéré, délivré. J’étais un peu La Reine des Neiges dans Talisman parce qu’en fait le retour aux sources il s’opère d’une manière assez rigolote. C’est davantage la fin de la quête d’identité. Il y a un truc un peu comme ça qui se joue comme comme la quête d’identité qu’on a quand on est au collège, lycée, et qu’on se cherche. Et quand on se cherche, on veut s’inspirer de modèles. Tu regardes des gens et tu te dis « sa vie est trop stylée et j’adore comment il se comporte« . Dans la musique, c’est pareil.

 

Je pense que comme ça a explosé très tôt dans ma vie personnelle, j’avais encore besoin de ce temps de recherche. J’ai encore besoin d’aller chercher l’inspiration à droite, à gauche. Et là, Talisman c’est l’achèvement de toute cette démarche. Il y a eu toute cette grosse quête identitaire qui s’est achevée par un vide où je suis allé dans la comparaison, dans la recherche de modèles, de références… En plus de tout cela, il y avait aussi un certain creux de la musique électronique qui devenait moins populaire avec une réelle prise montée de la musique rap/hip-hop. J’étais un peu angoissé par tous ces changements et par cette quête de modèles et finalement, à force de chercher j’en suis arrivé à être encore plus moi-même ! Quand j’ai réalisé cela, je suis revenu à plus de spontanéité dans ma musique avec l’envie simple de faire de la belle musique qui sort de moi et qui me ressemble.

Avec un minimum de recul, je pense qu’une des grandes chances que j’ai eu et qui m’a permis de faire ça c’est mon entourage. C’est facile à dire mais c’est totalement vrai ! J’ai eu la chance d’avoir un entourage professionnel qui m’a énormément aidé à me sentir moi-même et ainsi à pouvoir pleinement exprimer ce que je suis spontanément, sans retenue, sans jugement, sans rien ! Tout simplement à être le plus honnête possible. Mon entourage personnel y a pas mal contribué aussi ! Je me suis senti tellement bien que ça a été assez easy d’assumer de nouveau l’essence de ma fierté.

On sent que l’ADN Fakear est désormais bien installée. On reconnaît la patte. Et justement, tu nous as livré Sauvage, Animal, Végétal… Maintenant Talisman. Il y a tout un axe autour de l’environnement, de la nature. Comment allies-tu ce combat dans ta vie quotidienne et professionnelle ?

Ouais, dans ma vie quotidienne c’est quelque chose que je défends depuis longtemps et que j’essaie d’appliquer à tout va. Je vais essayer de faire mon possible à mon échelle pour aider et pour aller dans ce sens mais c’est vrai que ce n’était pas vraiment un combat que je menais forcément dans ma musique. Je n’avais pas envie d’assumer ce truc là publiquement…

Pour tout te dire, j’avais peur d’être réduit à ce combat, qu’on dise que Fakear était un peu le bobo de service… Et maintenant, grâce à plein de choses, notamment de par la gravité de la situation mais aussi de ma rencontre et de l’amitié que j’ai tissé avec Camille Etienne quelque chose s’est un petit peu débloqué à ce niveau-là. Tout ça s’est décomplexé et je pense que ça va avec le fait que je assume désormais pleinement qui je suis. Pour faire le parallèle avec ma passion pour les jeux vidéo c’est comme si j’avais débloqué un « nouveau skin ».

En plus de tout cela, il y a dix ans j’étais jeune et me positionner sur un combat comme ça aurait pu être dangereux parce que je n’avais ni les arguments ni forcément l’expérience d’en parler suffisamment bien. J’aurais pu rapidement être sur un terrain glissant et très politique…

C’est exactement ce que j’allais dire ! Parler de nature, d’écologique c’est très vite politique.

Totalement ! Et aujourd’hui je me sens davantage plus prêt à assumer cette exposition et à défendre mes convictions. Je me sens légitime même si ça reste un grand mot parce que on ne l’est jamais vraiment quand on est un musicien qui parcourt le monde et qui prend l’avion, etc… Il y a cette légitimité qui est assez difficile à défendre mais par contre, je me dis que ce serait plus grave de ne pas diffuser le message. Ce serait plus grave de fermer les yeux, de fermer la tronche et de me dire juste “bah moi je défends l’écologie, mais je ne vais pas en parler parce que je ne me sens pas légitime”. Ce serait horrible.

 

Les artistes ont dans notre société un certain rôle d’inspiration, une vraie influence sur les gens qui écoutent, qui sont fans de ta musique donc si je peux leur insuffler ce message là ma mission est remplie ! 

Peu importe l’échelle, c’est tout à ton honneur de le faire ! D’ailleurs, tu parlais de Camille Etienne et je t’avoue que j’adore le morceau Odyssea que tu as fait avec elle. Et justement, dans cet album, on retrouve plusieurs collaborations, notamment avec oOgo, ton ami de Nowadays, label qui t’accompagne depuis plusieurs années. Peux-tu nous parler de ta relation avec eux ?

Quand je parlais de mon entourage, j’avais eux en tête ! oOgo, en plus d’être un de mes meilleurs potes, c’est aussi le meilleur pote de Fakear. C’est un des premiers à avoir découvert mon projet et surtout à m’avoir soutenu ! Tu vois, quand je faisais la première partie de Wax Tailor au Trianon en 2012, ils étaient présents et sont venus me voir à la fin pour me dire que c’était chouette. Il était là au tout début et je suis resté avec eux jusqu’à la sortie d’Animal.

Et après, je suis parti cinq ans chez Universal parce que Fakear devenait très gros. On s’était consultés à l’époque, on s’était dit “ça vaut le coup de tenter et de voir où on peut emmener le projet” et au final ce n’était pas une expérience forcément méga concluante pour Fakear… Personnellement c’était enrichissant parce que j’ai appris pas mal de choses dont notamment ce que je ne voulais pas faire dans la musique. J’ai également pu découvrir comment marche l’industrie aussi en étant dans une Major. Ce n’est pas « pactiser avec le diable » mais il est vrai qu’il faut faire un certain type de musique et quand tu fais quelques chose d’assez indé avec le souhait de développer une carrière sur plusieurs années et de durer dans le temps, ce ne sont pas forcément les gens qui t’aideront le mieux. Eux sont davantage là pour te faire exploser très rapidement.

Là où Nowadays Records t’a toujours accompagné sur le long terme c’est ça ?

Yes, il vont construire avec moi et tu vois, après deux ou trois albums chez Universal, mon contrat s’est terminé et je suis retourné « chez moi ». Ce sont eux qui m’ont redonné confiance et m’ont remis sur les bons rails. On s’est dit « allez on refait un putain de bel album de Fakear, pour de vrai« .

oOgo lui a été extrêmement présent tout au long de la création de cet album. Il y a un feat avec lui mais il pourrait clairement être en featuring sur tous les morceaux parce que ça a été vraiment mon miroir artistique pendant toute la création !

Hyper intéressant ! Et on voit aussi notamment Thylacine, accompagné de son saxo magique. Tu peux nous raconter un peu comment est née cette collaboration ?

William ça fait longtemps qu’on se connaît. J’ai commencé à le croiser sur la route il y a dix ans parce qu’on a démarré en même temps et on a été un peu une espèce de « power trio » à un moment donné avec Superpoze, tous les trois très très très proches et très associés dans les médias.

Avant, on avait la même tronche, on faisait partie de la même génération et on produisait une musique assez similaire. Et là, il se trouve qu’on a commencé à se revoir un peu par hasard. En fait, c’est tout simplement parce qu’on est voisins et qu’on a la même salle de sport, les mêmes habitudes… On est devenu des vrais amis !

 

Et, de coïncidence en coïncidence, quand j’étais dans le processus de création de l’album je lui ai dis « mec, si jamais tu as du temps libre… ». Ce qu’il n’avait pas d’ailleurs ! Je lui ai envoyé les morceaux que j’avais déjà commencé à bosser et là il m’a balancé un solo de saxo de cinq minutes en me disant « vu qu’on est un peu les deux doués dans les mêmes choses, je n’ai pas envie d’apporter quelque chose que toi tu sais faire« . Ça a été super rapide, super fluide et en plus il est venu le faire en live au Trianon. Et pour l’anecdote, il m’a avoué que ce solo était en fait un mix de plein de solos qu’il avait enregistrés en studio et qu’il avait ensuite mis bout à bout. Pour le live il a quasiment dû tout apprendre et c’était sublime !

Lui aussi intègre aussi beaucoup la notion de voyage dans ses projets. C’est vrai, je trouve que là, dans ce morceau, il nous fait décoller.

Il ne joue pas d’une manière « saxophone jazz », il joue vraiment un peu à peu en orientalisant l’instrument, à tel point qu’on ne dirait pas qu’il s’agit d’un saxophone ! 

C’est vrai ! On arrive au mot de la fin. C’est les dix ans de ton premier projet Morning in Japan. Quel est ton regard sur cet EP dix ans plus tard ?

Ça reste un EP qui représente ma jeunesse mais en même temps c’est aussi Morning in Japan, le track en lui-même qui reste assez mystérieux pour moi parce que je ne sais pas comment ça a émergé dans mon esprit. Bien que ce soit sorti il y a 10 ans, c’est un morceau qui n’a pas vraiment vieilli ! En l’écoutant maintenant, je me dis « putain, il y a encore un truc très actuel, très très chouette » donc j’en suis plutôt fier.

Pour finir, qu’est ce qu’on peut souhaiter à Fakear ou à Théo ?

Continuer à faire du sport, à avoir une hygiène de vie cool parce que là je vois qu’avec tout ce qui se passe, la tournée et tout le bordel, je tiens à peine le coup et il faut vraiment que je sois rigoureux. Tout ce que vous pouvez me souhaiter c’est bonne chance !

Un grand merci pour cet échange ! Je te souhaite une très bonne tournée Théo, salut !

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