Rédacteur en chef, Fondateur
A l’occasion de la sortie de son premier album, on a rencontré Mokado chez Jeannette afin de discuter avec lui de ce disque, de ses inspirations mais également des artistes avec qui il adorerait collaborer.
Salut Sylvain ! Tu viens de sortir Marius, ton premier album. Comment te sens-tu une semaine après sa parution. Dans quel état d’esprit es-tu ?
Très bien ! Tu sais que l’album a été décalé à cause du covid… Il était censé sortir en mars dernier, on l’a décalé en septembre et ça fait déjà un an que je l’ai fini, que ce soit la DA de l’album, les morceaux, certains des clips même. Du coup c’est assez agréable de revenir sur cet album maintenant, d’en reparler et de se replonger dedans. Depuis un an j’étais un peu passé à autre chose, j’ai fini ce projet là, j’ai commencé à en faire d’autres d’ailleurs. Pour l’instant, l’album a un bel accueil et c’est super de pouvoir enfin avoir une vision à long terme, de parler de concerts, d’en faire la promotion !
Pourrais-tu présenter ton univers musical en quelques mots ?
Je m’appelle Sylvain Bontoux, j’ai un projet musical qui s’appelle Mokado qui existe depuis 2018 et c’est un projet musico-historique et social, c’est-à-dire que le but est de raconter des histoires de personnes, soit fictives soit réelles, sous un contexte de musique électronique instrumentale mais également, et de plus en plus maintenant, avec des artistes qui chantent dessus pour insuffler encore plus de rapport à l’histoire dans les morceaux.
Que peux-tu nous confier au sujet de Marius ? On a ressenti beaucoup plus de variations dans cet album que dans ton précédent EP tout en gardant une certaine continuité. Comment perçois-tu l’évolution musicale entre ces deux projets ?
C’est exactement la continuité ! A la base, avec mon label on savait qu’on allait commencer à travailler sur un album au moment où Ghosts était sorti. Puis, je me suis dit « bon, il faut que je me pose » car j’essaie toujours, peut-être parfois un peu trop, d’intellectualiser ma musique en amont. Parfois c’est très simple et ça prend quelques jours. D’autres fois ça prend plusieurs mois de réflexion. Mais j’aime toujours prendre mon temps afin de savoir ce que je veux raconter en trouvant un plan logique pour comprendre ce que je vais devoir faire. Une fois cette étape terminée, je me lance.
Avec Ghosts j’avais commencé à regarder ces carnets – l’EP est basé sur les carnets de son arrière-grand-père qui relataient ses diverses aventures et histoires personnelles des années 1940 à 1990 – et j’en avais sorti quelques récits de personnes présentes dans ces carnets. En réfléchissant et en discutant avec mon label, on s’est dit qu’il serait bien, toujours dans cette continuité, de raconter cette fois-ci l’histoire de la personne qui écrivait ces carnets. Après avoir parlé des histoires qu’il y avait dedans, racontons celle de son auteur ! J’ai vite compris qu’il y aurait matière à en faire un album du coup je me suis replongé dans la lecture, sous un nouvel angle afin de percevoir ce que cela racontait de lui. J’ai commencé la composition en m’inspirant de cela et ça s’est terminé par dix dates pertinentes qui concluent ce chapitre de ma musique.
Ce projet a été encore plus poussé car il y avait davantage d’archives sur Marius ; là j’avais des centaines de carnets qui racontaient différentes étapes de sa vie. J’ai donc pu aller encore plus loin, autant dans l’histoire que dans la composition. La principale différence est qu’avec Ghosts on avait les histoires d’un côté, la retranscription en musique de l’autre alors qu’avec Marius on avait un « tout » : on a voulu que dans le son, dans la façon dont s’enchaînent les morceaux, dans la texture qu’on ajoutait en production avec Perceval Carré les gens aient l’impression de lire cette histoire, presque comme un livre audio.
En effet, à son écoute on a le sentiment de revivre chaque étape de la vie de Marius, avec des moments clefs, parfois plus sombres, comme si on discernait avec ta musique ses émotions à un moment précis.
Oui c’est ça ! Après, il y a également des choses qui se créent par hasard, tout n’est pas parfaitement calculé mais a posteriori, quand je réécoute l’album je me rends compte qu’il démarre avec quelque chose de très brut avec des morceaux incisifs, très carrés, puis se poursuit avec des compositions plus « complexes », avec des changements harmoniques. Un peu en rapport avec le côté brut et direct de la jeunesse voire de l’enfance en opposition avec le côté plus sage, introspectif qu’on peut avoir quand on vieillit. J’ai vraiment l’impression que les morceaux retranscrivent cela : jusqu’à 1952 on a un côté vraiment brut, presque énervé, puis on a des titres comme 1981 avec des changements assez bizarres dans la structure, 1992 avec des longs ponts ou encore 1996 qui a un côté presque orchestral. Ce n’était pas prévu de base mais je suis satisfait que, sans vraiment s’en rendre compte, on soit parvenu à donner cet aspect là à l’album.
On perçoit dans tes compositions quelque chose de contemplatif, de mélancolique. Que souhaites-tu exprimer à travers tes compositions ?
Je pense qu’elle est très contemplative parce que, comme je te l’ai dit, je réfléchis beaucoup ma musique en amont afin que toutes les pièces du puzzle s’assemblent parfaitement. Ça ne fonctionne pas toujours et parfois je reste bloqué sur quelque chose pendant longtemps. Par exemple, la pochette de l’album j’y ai réfléchi pendant très longtemps car j’avais du mal à voir comment elle pouvait fonctionner avec les morceaux. Je trouvais que ça marchait pas alors que mon entourage trouvait ça très bien et j’ai dû lâcher prise. Je réfléchis beaucoup les choses et j’en viens à regarder ma musique d’un oeil critique donc naturellement, en faisant ça elle devient très contemplative. Au bout d’un moment, la musique elle-même se regarde, ça fait des boucles et avec Perceval Carré on en arrivait même à passer deux heures sur un son de caisse claire parce qu’on trouvait qu’on ne parvenait pas à aller au bout de ce qu’on voulait faire.
Cet aspect contemplatif vient également du fait qu’à travers cette musique instrumentale, et de temps à autres avec des feats, la mélodie passe en premier ! Pour que je continue à développer une composition il est impératif que la mélodie fonctionne dès le début. Par la suite je peux en venir à faire 40 versions du morceaux mais tant que l’essence même de la mélodie est là, je sais que ce sera bon. Je pense aussi que naturellement chez l’Homme, quand la mélodie est parfaitement millimétrée ça amène à la contemplation, à l’introspection, aux souvenirs de moments précis alors qu’une musique plus percussive a tendance à donner une sensation de mouvements en mode « ce rythme me rappelle quelque chose » et donne une envie de danser.
On t’a découvert il y a deux ans où tu jouais en première partie de Tourist. Quelques mois plus tard on te retrouvait au Pop Up, masqué cette fois. Peux-tu nous confier les raisons qui t’amènent à porter ce masque ? Que représente-t-il pour toi ?
Au Hasard Ludique c’était mon dernier concert non masqué ! Mon projet musical murit en même temps que moi personnellement. Au début, c’était mon premier projet, je pense que je ne mettais pas tous les curseurs à fond, par pudeur ou par peur… Sauf qu’au bout d’un moment je me suis dit : « tu racontes l’histoire de personnes, leurs vies, en concert tu ne parles pas, tu ne chantes pas donc pourquoi tu te montres ? ». Le but était de mettre en avant les histoires que je raconte, pas moi personnellement sinon le message se perd. Après réflexion, les personnes qui s’occupent de ma DA m’ont fait rencontrer Muriel Nisse qui fait des masques. Immédiatement j’ai compris que c’était ça qu’il me fallait ! Ensemble on l’a retravaillé et après le Hasard Ludique la transition s’est faite, en concerts, un petit peu en promo mais pas tout le temps et maintenant c’est non stop. Quand je le porte je m’oublie totalement derrière !
Dans cet album, on retrouve deux collaborations avec Loïc Fleury et Samba de la Muerte. Comment t’es venue cette envie de poser des voix sur tes compositions ?
Il y avait deux aspects : le premier était d’amener encore plus de profondeur sur cet album car avec un long format on avait la possibilité de s’amuser davantage tout en apportant plus de richesse. Sur ces deux morceaux là – 1938 avec Loïc Fleury et 1981 avec Samba de la Muerte – j’ai trouvé que les histoires racontées par Marius étaient pertinentes pour y faire des featurings. Les morceaux ont été construits pour avoir des feats dessus. Il a fallu trouver des gens pour raconter ces histoires ; 1938 parle de ce passage à la trentaine, de ce que ça signifiait pour l’époque alors que 1981 est à un tout autre niveau car on retrouve Marius qui vieillit, qui commence à écrire des poèmes un peu différents, qui rentre dans des obsessions. Ce sont des sujets qui me tiennent particulièrement à coeur arrivant bientôt dans la trentaine et ayant quelques obsessions. Je voulais vraiment que des artistes puissent prendre ma voix pour chanter dessus.
Ces featurings donnent une toute nouvelle interprétation de ta musique. L’instrumentale permet aux auditeurs de se créer leurs propres histoires alors qu’avec des interprètes c’est vous qui choisissez l’histoire que tu souhaites raconter.
Clairement ! Ça limite en effet le cadre mais on a quand même essayé avec Loïc Fleury et Adrien (Samba de la Muerte) de laisser un peu de liberté. Les paroles restent évasives même si elles sont liées aux poèmes qu’écrivait Marius. Quand tu écoutes les deux collaborations, tu peux les interpréter comme tu le souhaites ! Par exemple, sur le sujet de la « trentaine » tu peux voir ça comme quelqu’un qui n’a pas du tout envie d’embrasser ce cap, soit tu peux le prendre comme quelqu’un qui est heureux de passer cette nouvelle étape dans sa vie et qui voit un bel avenir devant lui.
Avec quels autres artistes rêverais-tu de collaborer ?
Alors malheureusement je n’ai pas d’exclu à te donner… Dans une autre mesure on avait commencé à faire des remix de Mona avec Zimmer et You Man. Là c’est mes premiers vrais feats et j’adore ça ! Dorénavant, j’adore composer des morceaux pour d’autres. Pour 1938 j’ai clairement composé en sachant qu’il serait pour un feat, et j’avais déjà l’idée de le proposer à Loïc. Il y a beaucoup de gens avec qui j’aimerais collaborer. Et ce que j’aime bien aussi c’est le mélange des genres ; dans les remix je bosse avec des artistes électro alors que dans les feats j’apprécie l’idée de pouvoir collaborer avec des personnes qui font de la variété. Par exemple, je suis un énorme fan de Terrenoire, leur musique et leurs messages me touchent. C’est typiquement un groupe avec qui j’aimerais faire un feat sur un prochain disque alors qu’ils sont dans un style diamétralement opposé. Odezenne également ! On se rapproche d’un milieu rap que j’affectionne, un rap très mélancolique avec des histoires très fortes. J’ai envie de leur dire : « venez, on raconte une histoire commune » par le biais de Mokado.
Tu viens de sortir ton premier album mais ça fait un an qu’il est terminé. Que nous réserves-tu pour l’avenir ?
On va continuer la promo un moment puis il y aura des exclusivités liées à l’album qui vont arriver. J’ai déjà fini l’EP qui arrive après mais je ne préfère pas donner de date de sortie. On va laisser le temps à Marius de vivre mais c’est vrai que j’aime bien l’idée de faire des sauts de puce entre des longs albums avec des gros concepts et des EPs qui ont un côté plus brut, un peu plus club, avec des histoires plus légères et qui possèdent davantage d’imaginaire que mon premier album qui a une histoire beaucoup plus concrète.
Un petit mot pour conclure cette interview ?
J’ai un 20/20 ce qui est génial ! A part ça, on est content de pouvoir défendre cet album en live, ce qui n’était pas vraiment évident… J’ai pu développer une identité « lumières » en cohérence avec l’album qui permet d’amener une autre lecture. Et j’ai surtout hâte de rencontrer des gens ! Les retours sur les réseaux sociaux sont bons mais en concert j’aurai l’opportunité de vraiment voir les réactions du public. C’est hyper excitant !