À quelques jours de la sortie de son nouvel EP, Chroniques Terrestres, on a discuté avec Thibaud Vanhooland alias Voyou de ce nouveau projet qui saura sans aucun doute vous surprendre.
Salut Thibaud, est-ce que tu peux nous parler de ton prochain EP ?
C’est un disque quasiment uniquement instrumental, où il y a juste un duo avec une chanteuse que j’aime beaucoup et qui chante dans un groupe qui s’appelle Ladaniva. Ce sont des morceaux que j’ai écrits à un moment où à la fois j’avais la sensation que c’était compliqué de mettre des mots sur des choses, et où j’avais besoin de sortir un peu de tous les formats, après plusieurs années d’écritures de chansons.
C’est-à-dire ?
J’avais besoin de prendre un peu de recul sur ma manière de faire de la musique, en essayant de la faire différemment, en cherchant de nouveaux instruments ou de nouvelles textures. Etant donné que le processus d’écrire des chansons est beaucoup plus long que celui de composer de la musique, en tout cas pour moi, c’était une bonne manière de faire de la recherche très spontanée. Chaque morceau prenait au maximum une journée à composer et arranger, à la fois pour essayer de ne pas m’imposer de format, et pour rester au plus proche de l’émotion de base qui m’avait fait écrire cette chanson là.
Mettre des mots sur ce qu’on vivait, je trouvais ça un peu compliqué. Mais tu te retrouves quand même avec beaucoup d’émotions en toi, et l’idée était de tout de même les sortir, et ça se passait de chant pour ma part.
À quel moment cette écriture a eu lieu ? Pendant le confinement ?
Une partie des morceaux pendant le premier confinement. Une autre partie entre le premier et le deuxième, et un morceau un peu au dernier moment.
Et tu as composé toutes les voix, seul avec tes instruments ?
Oui, au début j’étais là où j’étais confiné, avec finalement assez peu de matériel : des percussions, mes trompettes, une basse, une guitare… Je suis ensuite allé au studio de mon label, qui est plutôt cool et bien équipé, avec certains instruments que je ne peux pas emmener avec moi, comme un piano ou une batterie. Et je me suis installé là, à travailler seul, où j’ai pu être par exemple complètement indépendant sur la prise de son. Un peu comme un petit laboratoire d’expérimentation. J’ai pu revenir sur les morceaux de ce mini album et aussi sur d’autres titres que j’ai sortis à ce moment là. Ils passaient ensuite dans la pièce d’à côté pour être mixés pendant que je faisais le morceau suivant.
Comme tu l’as dit : cet EP est essentiellement instrumental, à part sur un morceau chanté par Jacqueline Baghdasaryan du groupe Ladaniva. Comment s’est déroulée votre collaboration ?
Son groupe, c’est un duo avec Thomas, que je connais depuis qu’on est petits, nos parents sont super copains. Je suis allé les voir en concert dans un resto à Lille quand ils venaient de monter le groupe et j’ai halluciné devant la voix de Jacqueline. J’avais envie d’avoir une voix sur cet album, sans que ça soit la mienne. J’ai tout de suite pensé à elle, je lui ai envoyé toutes les prods. Elle en a choisi une, elle est venue en studio après avoir écrit un texte et des mélodies. Elle avait quartier libre et je ne savais pas du tout ce qu’elle allait proposer. On a cherché ensemble comment arranger tout ça, assez naturellement, et c’était vraiment cool. Je me suis dit que finalement ça collait exactement à ce que je cherchais.
En écoutant l’EP, on sent un mélange de morceaux rythmés, portés par la basse et la batterie, et d’autres très contemplatifs, qui font penser à une ballade en ville au milieu de l’agitation. Le titre Mue est carrément scindé en deux avec ces deux aspects. C’est ce que tu cherchais ?
C’est sorti comme ça ! J’écoute beaucoup de musique instrumentale, j’en écoute beaucoup tout seul, ça pousse à laisser aller certaines images dans la tête, à se rappeler d’odeurs, de paysages, et l’idée était de me projeter dans des images, des émotions, des couleurs, de les laisser complètement s’exprimer et de laisser mes doigts aller sur les instruments. J’essayais de faire des choses pas trop définies non plus, pour que ça laisse à chacun la possibilité de se projeter dans sa réalité ou dans son imaginaire. Chaque morceau est un petit tableau, certains sont en mouvement, comme Tout va bien, alors que Xiberoa est très contemplatif, où tu regardes un paysage qui se déploie.
Tu mélanges également beaucoup les genres, avec des sonorités qu’on entendait pas sur tes titres précédents, et qui tranchent pas mal avec ce que tu faisais. Comment tu l’expliques ?
Je ne pense pas que ça annihile ce que j’ai fait avant et que c’est une transition vers quelque chose de nouveau. C’est un disque qui vient au milieu de tout ça, je vais continuer à faire des albums de chansons. Dans mon premier album, et dans l’EP que j’ai sorti après, il y a toujours cette volonté de ramener des instruments, de créer de la matière organique qui accompagne la voix. Mais c’est vrai que le fait qu’il y ait le chant, ça t’impose des structures pour que la chanson soit cohérente, et le chant y prend beaucoup de place. Donc tu passes moins de temps à observer ce qui se passe autour. J’écoute beaucoup de musique, des choses très différentes, et en fonction des périodes, mon oreille est charmée par d’autres styles et j’ai envie de partir dans d’autres directions. Donc là c’est un bon moyen de me sortir de tous les codes qui me sont imposés quand j’écris des chansons. Et c’est encore différent de ce que j’écris en ce moment pour mon futur album chanté.
Perso, j’ai écouté énormément de musique instrumentale pendant le confinement et je trouvais que ça collait bien au moment. Pourquoi, toi, tu as décidé de faire un album instrumental à cette période ?
Je n’ai pas vraiment réfléchi au moment, je l’ai fait parce que ça sortait comme ça. Mettre des mots sur qu’on vivait, je trouvais ça un peu compliqué. Mais tu te retrouves quand même avec beaucoup d’émotions en toi, et l’idée était de tout de même les sortir, et ça se passait de chant pour ma part. C’est une musique que tu gardes plus pour toi, assez solitaire, je pense qu’on est tous en ce moment un peu plus plongés dans la solitude, et on écoute des œuvres qui accompagnent ça. Moi ça m’a fait du bien de faire cet album, et surtout ça m’amuse de me demander ce que les gens vont en penser.
Ton dernier EP, Des confettis en désordre, sorti au mois de septembre, comportait déjà un interlude instrumental, c’était une manière d’annoncer le projet suivant ?
En fait ce morceau était initialement pressenti pour être sur le disque instrumental, et puis finalement je me suis dit que c’était pas mal de le mettre dans cet EP et d’annoncer que c’était quelque chose que je voulais faire. Je n’ai jamais été quitté par l’envie de faire de la musique et juste de la musique, pas forcément des chansons.
Ta voix n’étant plus là, tu laisses d’ailleurs beaucoup plus de place à la trompette sur ce disque…
C’est un instrument avec lequel j’ai un vrai rapport de langage. Quand j’ai une mélodie dans la tête, je peux la jouer avec cet instrument très simplement. C’est l’instrument que je maitrise le mieux, ou en tous cas que je connais depuis le plus longtemps. Ça me semble assez naturel de lui donner le lead et de l’utiliser pour faire passer les émotions, par ce que je les maîtrise plus sur cet instrument que sur une guitare ou un piano. Il s’est retrouvé très vite au centre de la composition, parce que c’est avec ça que j’étais à l’aise pour composer des mélodies et ces mélodies sont donc restées interprétées par l’instrument avec lequel je les ai trouvées.
Pour terminer sur l’aspect instrumental, quand tu le pourras, comment est ce que tu penses le retranscrire sur scène ?
Ça c’est une bonne question ! J’ai vraiment fait ce disque en l’imaginant pour le salon, mais pas forcément sur scène. C’est de la musique qui est très bricolée, je ne sais même pas comment je le retranscrirais. Tout à l’heure on parlait un peu de la solitude, je pense aussi que c’est une musique qui est faite pour être écoutée seul ou en petit groupe, pour se sentir projeté dans des espaces. Donc pour le moment j’ai du mal à l’imaginer en concert, mais pourquoi pas !
Il y a également une super pochette pour cet EP. Tu en as dessiné quelques unes auparavant, mais là tu as choisi une collaboration. Tu peux nous en parler ?
Après le premier confinement, j’ai monté une formule solo, seul en scène, pour que je puisse tourner et que ça ne coute pas trop cher aux salles de concert qui devaient réduire leur jauge de deux tiers. J’ai demandé à une amie à moi, Lila Poppins, de faire un décor pour cette formule. Elle a fait un truc que j’ai adoré, et au moment de faire la pochette de l’EP, j’ai voulu bosser avec elle et faire quelque chose qui se rapprochait de ça. Elle est même venue en studio pour la commencer pendant que j’étais en train de travailler. Ça a rendu la chose cohérente, et comme c’est une fille qui a énormément de talent, je suis trop content du résultat.
Pour conclure, qu’est ce que tu prépares pour la suite?
Je prépare un nouvel album chanté cette fois, et un projet avec un orchestre. Sinon, quand ça sera possible, boire des bières dans les bars !