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Interview : Fhin

Interview : Fhin

A l’occasion de la sortie le 13 novembre prochain de Trauma, nous avons discuté avec Fhin. Il nous raconte l’histoire et les inspirations qui ont mené à la composition de cet album très personnel oscillant entre rêve et réalité.

Hello ! Merci beaucoup d’avoir accepté de discuter avec nous à l’occasion de la sortie de ton album. Après deux EP sortis en 2015 et 2017, qu’est ce qui t’as motivé pour sortir ton premier album ?

Tout d’abord, il y a pas mal de temps qui s’est écoulé après la sortie du second EP. J’ai eu une longue période durant laquelle je continuais à créer des choses mais je ne ressentais pas vraiment l’envie de sortir quoi que ce soit. Ça ne me satisfaisait pas forcément, ça ne collait pas vraiment avec ce que je voulais communiquer suite à la sortie de ces deux EPs… J’ai besoin que les choses évoluent, je n’aime pas rester dans une vibe trop longtemps ! J’ai besoin d’évoluer vers quelque chose de nouveau.

Quand on écoute un artiste, on a envie d’avoir des contenus qui nous font remarquer que c’est cet artiste en particulier qu’on écoute mais on a également envie que ça évolue. Ça a été une phase un peu longue dans laquelle j’ai perdu en spontanéité… Quand je composais un nouveau morceau, je me suis rendu compte que, je commençais puis me disais « non ça ça va être trop bizarre pour les gens » ou encore « ça ne sera peut-être pas assez écouté » ce qui m’amenait à perdre en sincérité. Il suffisait que ça ne plaise pas à une seule personne ou qu’il y ait un avis un peu négatif pour me mettre une espèce de barrière, un blocage qui me faisait passer à autre chose. Au début, quand j’ai démarré la musique avec Délicieuse Musique, ce qui a fait que ça a marché c’est que j’étais tout seul dans ma chambre, je rentrais de cours, faisais de la musique, postais les sons sur SoundCloud et ça c’était spontané !

Par la suite, j’ai eu une discussion avec un ami de mon père et je savais qu’il fallait que je passe au dessus de ce blocage. En partant il m’a dit : « fais cavalier seul dans ta tête, fais tes trucs, il faut que ça vienne de tes tripes ! ». Le fait que quelqu’un d’extérieur me le dise ça m’a fait un déclic. J’avais déjà des démos, certaines idées de sons de l’album et, dans les mois qui ont suivi, j’ai fait le plus gros du travail, toute l’image sonore, ce qui m’a permis de ne plus me mettre de barrière et d’aller un peu dans tous les styles. J’ai vraiment fait une oeuvre comme je l’entends, sans frontière musicale, avec des titres avec uniquement du piano, des morceaux plutôt club, d’autres un peu perchés, sombres et tristes et d’autres super solaires !

Dans tout ton album il y a des sonorités très hypnotiques qui rappellent le thème du rêve, un thème qui était déjà présent dans tes précédents projets. Est-ce un fil conducteur malgré ton envie d’évoluer ?

Oui bien sûr ! J’essaie de faire évoluer la forme mais dans le fond j’aborde des sujets qui sont beaucoup plus personnels qui sortent un peu du rêve parce qu’ils ont un rapport avec des évènements qui me sont arrivés plus tôt dans ma vie et c’est la première fois que j’écrivais dessus. En même temps, il y a toujours cette fascination du rêve, notamment du fait que je fais beaucoup de rêves lucides. Pour moi c’est une chance et j’essaie de garder ça un peu comme un muscle, de le travailler et de l’exploiter parce que c’est super inspirant. C’est un moment où tu peux faire des trucs de fou qui peuvent dépasser l’entendement. C’est une source d’inspiration inépuisable !

Donc oui ! Dans les faits, le rêve est une source énorme d’inspiration et c’est aussi ce qui a donné cette couleur à l’album, même si je ne sais pas si on peut parler de « couleur d’album » parce que finalement ça part dans beaucoup de styles !

En plus de cela, je voulais qu’il y ait une suite définie des morceaux car il existe parfois des jonctions entre certains titres. Tu sais, parfois quand tu rêves tu es en train de te baigner sur le toit d’un building et d’un coup tu es chez ta tante, mangeant du risotto… Il y a des trucs qui n’ont aucun sens et ce que je voulais faire ressentir avec cet album c’est la sensation d’une nuit durant laquelle tu traverses des rêves qui sont supers différents.

Aujourd’hui, je suis dans mon studio avec ma carte son, un clavier, une guitare, mon micro et surtout mon ordi. A partir de là je peux faire tout ce dont j’ai envie ! Si je veux faire de la samba ou du baroque, même si je n’ai pas les connaissances musicales pour, je peux essayer de le faire. Dans certains labels, ils te demandent une cohérence musicale et, même si je suis d’accord qu’il faut qu’il y ait une âme qui reste, je trouve cela triste que les arrangements se ressemblent… Dans ce genre d’album tu restes dans une pièce, tu ne voyages pas. Personnellement je voulais passer outre cette contrainte, même si ça entraînait de prendre quelques risques. J’ai la chance de travailler avec un label indépendant qui me fait confiance, avec des personnes qui me donnent leur avis mais qui ne vont jamais me contraindre à aller dans une direction en particulier.

Sur quelques morceaux, les cordes sont mises à l’honneur comme dans Miles et Monster. J’ai beaucoup aimé même si j’ai été surprise à la première écoute. D’où t’es venue cette idée de les ajouter ?

J’ai une fascination pour le violoncelle depuis tout petit même si j’ai commencé par apprendre à jouer de la batterie, ensuite du piano et de la guitare mais j’ai toujours été fasciné par cet instrument. Je trouve ça très beau ! Il me semble que le violoncelle est l’instrument qui a la plus grande bande de fréquences possible, allant de sons très graves à très aigus. En plus de cela, tu as l’instrument posé contre toi et, contrairement à un piano ou une guitare, là tu ressens le son, les vibrations, ce qui emmène un côté très intime assez fou ! En plus de cela, depuis que je suis petit, de temps à autre, je rêve que je joue du violoncelle.

J’ai rencontré Jonathan Fitas à une exposition pour laquelle il avait fait une musique avec un arrangement de cordes. De mon côté, j’avais ajouté du violon, de l’alto sur mon album mais avec des instruments synthétiques. J’ai pris son contact et lui ai décris ce que j’aimerais, quelles étaient mes intentions à travers cet album et il est parvenu à retranscrire ce que j’avais en tête ! Il avait fait les parties alto et violon, m’avait envoyé les pistes mais pour le violoncelle c’était compliqué car je ne parvenais pas à trouver quelqu’un pour jouer les quelques notes. A cette époque là (l’année dernière) je vivais à Versailles au-dessus d’un luthier qui s’appelle Stéphane Garnier et que j’admirais beaucoup. On discutait souvent et un jour j’ai rêvé que j’achetais un violoncelle chez lui. En descendant de chez moi, j’allais monter sur ma moto pour partir mais en passant devant sa boutique j’ai décidé de rentrer et lui ai dis : « J’ai rêvé que je vous achetais un violoncelle hier soir, qu’est ce que vous avez à vendre ? ». Il m’a vendu un violoncelle qu’il a rénové lui-même, un de ses premiers prix, mais qui était tout de même de super qualité ! Un après-midi, j’ai passé 5 heures dans mon salon à enregistrer à tour de rôle les 16 notes que je voulais apprendre, avec la bonne intention, le bon vibrato. Bref, j’ai joué du violoncelle sur l’album et j’en suis fier. Aujourd’hui j’en joue de temps en temps, je progresse petit à petit, je n’ai aucune technique mais j’arrive à faire ce que je veux. C’est un bel objet et j’en rêvais depuis tellement longtemps que je vais le garder toute ma vie !

 

Contrairement à ces morceaux avec des cordes, il y a Love Attack – sorti le 25 septembre – qui sonne complètement différemment, avec une voix d’intelligence artificielle. Peux-tu nous en dire plus à propos de ce titre ?

Au départ, j’avais ce refrain avec la descente de guitare et une petite batterie. J’avais envie d’un morceau un peu posé, intime et j’avais cette prod, ce refrain et m’est venue cette idée du gars qui communique avec son intelligence artificielle, qui se sert des rêves pour matérialiser ces échanges et qui en tombe fou amoureux. Evidemment, je me suis rendu rapidement compte que c’était exactement l’histoire du film Her. Après pour la voix, je n’avais aucune idée pour les couplets… J’avais des paroles et je les ai faites dire à Google puis j’ai calé tout ça sur le rythme ce qui est assez original ! D’ailleurs, je ne sais pas si tu as vu mais il y a des featurings quelque peu bizarres dans mon album avec  ma grand-mère, mon chien ou encore Google (rires)… Et aussi Louis VI et sahara bien sûr !

Justement, par rapport à ta grand-mère, j’ai lu que tu t’étais installé chez elle quand tu as enregistré l’album. On l’entend d’ailleurs sur I’ll Figure It Out. Pourquoi avoir choisi d’enregistrer ton album chez elle ?

Je vivais à Asnières, je voulais partir de chez moi et, comme je ne passe pas beaucoup de temps avec ma grand mère et qu’elle a une grande maison dans laquelle elle vit seule, je m’y suis installé. A l’époque j’avais fait mon EP dans mon studio : je me levais, je mangeais, je me remettais dans ma chambre sur mon bureau pour travailler et le soir je me couchais dans mon lit… Je sortais uniquement pour aller au sport mais sinon je n’avais pas cette séparation travail/vie privée…

Maintenant je vis à Paris, dans le 14° et je continue de faire des allers-retours car c’est une maison qui a une histoire pour moi, ma mère y a grandi et j’y ai beaucoup été avec mes cousins quand j’étais petit. Je m’y sens bien et en plus l’été c’est top il y a un jardin !

Ma grand-mère aime beaucoup raconter des histoires, elle aime parler du passé et, un jour, alors qu’elle parlait de mon enfance je me suis dit « tiens je vais l’enregistrer sans lui dire ». J’étais déjà dans le process de mon album donc je me suis dit que ça ferait un petit contenu, un break voire une intro. Elle abordait un sujet qui la touche beaucoup ; mon hospitalisation quand j’étais petit. En écoutant ce moment là ça m’a un peu serré à la gorge, c’est fort, j’ai un peu hésité à l’utiliser mais j’ai trouvé que ça rendait bien ! Et puis c’était un moyen de lui rendre hommage car elle m’a permis d’enregistrer tout l’album dans ces conditions là. Il faut dire qu’une pièce, un contexte en particulier, ça inspire aussi beaucoup la musique. Si j’avais fait cet album en Bretagne ça n’aurait sans doute pas été pareil !

 

Tu disais que cet album est très personnel. Pourquoi avoir choisi comme titre Trauma ? Y a-t-il un lien avec ce qu’il s’est passé quand tu étais plus jeune ?

J’ai un peu hésité justement pour ce titre parce que le « trauma » je ne le conçois pas forcément comme quelque chose de négatif mais en effet, il fait référence à ce qu’il s’est passé quand j’étais petit. En 1999, j’avais 5 ans et je n’arrêtais pas de tomber, ma mère pensait que je faisais exprès mais elle a tout de même décidé d’aller me faire faire des radios, sans trouver d’explications. Ma grand-mère, qui était docteur, a poussé pour que je passe un IRM et on a découvert que j’avais une tumeur dans la colonne vertébrale et dans le poumon droit… On m’a opéré pour la retirer mais, par la suite, j’ai dû avoir beaucoup d’hospitalisations et de rééducation. Jusqu’à mes 15 ans, j’ai eu un corset pour ne pas que le dos se torde car mon corps avait grandi avec ma colonne qui s’appuyait sur cette tumeur… J’ai eu une scoliose et c’est pour cela, je ne sais pas si ça s’entend, que dans ma voix il y a un souffle qu’on peut retrouver dans beaucoup de mes chansons.

Donc Trauma c’est pour toute cette période où je n’étais pas forcément conscient… Je me rappelle de tout ça mais moi je l’ai plutôt bien vécu… Trauma pour moi c’est un peu la signature de choses fortes qui t’arrivent dans ta vie. Pour moi un « trauma » c’est une manière, bonne ou mauvaise, de se façonner, de faire ses armes et je voulais rendre hommage à cette chose là qui fait et fera toujours partie de ma vie. C’est une cicatrice mais je ne la maudis pas. Ce n’est pas que négatif !

En plus des rêves et de ces souvenirs, tu as d’autres thèmes importants dans cet album que tu aimerais mentionner ?

C’est beaucoup de souvenirs d’enfance, beaucoup de rêves : un mélange de rêve et réalité. Après tu as A Song With My Dog qui est un hommage à mon chien et parce j’ai toujours grandi et aimé les chiens. A chaque fois que je vais chez quelqu’un je vais d’abord dire bonjour aux chiens et aux chats avant de dire bonjour aux humains ! Ce titre est un hommage à l’amour inconditionnel que les chiens vont toujours te donner ce qui est quelque chose qui m’émeut beaucoup. Ce chien que j’ai enregistré c’est Bambou, mon berger allemand qu’on a fait piqué il y a quelques années, quand je réalisais mon deuxième EP, parce qu’il était malade. Il pleurait et faisait tout le temps des espèces de vocalises. Je n’ai pas vraiment touché le son que j’avais enregistré, j’ai simplement mis une reverb et un peu d’autotune pour ajuster le tout mais ça reste une mélodie qu’il a dessinée ! Il m’a imposé un tempo, une tonalité et j’ai construit le reste autour. C’est un morceau vraiment cool, un hommage qui faisait une petite pause dans l’album !

 

Sinon il y a Where’s the Fire qui est un peu plus premier degré. C’est une ode au moment présent. Je suis toujours en train de parler des rêves et là c’est un single pour profiter et ne pas se prendre la tête. C’est un morceau pour lequel je me suis surtout fait plaisir sur la production. Il y a aussi The Shape – le morceau le plus spontané que j’ai fait alors que des morceaux comme Trauma ça prend trois mois à faire – et Off Your Hand qui sont deux morceaux qui vont ensemble mais que j’ai séparés dans l’album. Ils s’écoutent d’une traite !

C’est un contexte un peu particulier pour sortir un album, notamment du fait qu’il est pour l’instant impossible de le défendre en live… Tu es dans quel état d’esprit ?

Déjà l’album a été repoussé tellement de fois… Au début on devait le sortir cet été, puis il y a eu le confinement qui a repoussé la sortie à octobre et finalement notre distributeur a décidé de sortir l’album de Petit Biscuit au moment où nous avions prévu la sortie de Trauma… Etant donné qu’il voulait travailler nos deux albums indépendamment, il ne souhaitait pas qu’ils sortant en même temps alors que nos sons ne se ressemblent pas tellement… Du coup c’est tombé sur le 13 novembre, une date qui est un peu chargée en France malheureusement mais bon… Avec ce contexte très particulier, il était également plus difficile de travailler pour créer des clips. On voulait créer des contenus vidéos afin de construire un réel univers visuel autour de l’album donc on a préféré prendre le temps.

Pendant le confinement j’en ai profité pour faire des lives de piano, de guitare, etc. De cet isolement est né Tombé du sommeil, un titre en français que j’ai entièrement fait dans ma chambre, là où j’avais commencé à faire de la musique chez mes parents. J’ai fait le clip moi-même en prenant le drap un peu vert/bleu d’une voisine que j’ai mis derrière moi et je me suis filmé face caméra puis, j’ai ajouté des inserts vidéo et voilà !

Ce contexte un peu particulier a fait naître des trucs cools mais maintenant ce qui manque c’est les concerts, les DJ sets… Ce n’est pas ce qui me fait vivre et me permet de payer mon loyer mais c’est vraiment l’aboutissement de tout ! C’est en grande partie pour cela que je fais de la musique ; les concerts sont des moments fous, ça permet de voyager, de rencontrer du monde, de passer des soirées super cool avec ses amis. En attendant la reprise, je suis en train de tout repenser : quels morceaux de l’album je vais jouer en live, quelles parties je vais jouer à quel moment parce que je serai certainement seul sur scène, etc. En ce moment je suis un peu dans ma bulle en train de réfléchir à tout ça et ça me donne encore plus envie de faire les choses à fond pour préparer une expérience vraiment immersive ! J’ai donc pas mal de boulot pour cet hiver !

On espère également les concerts reprendront véritablement l’an prochain ! Pour conclure cette interview, qu’est ce que je peux te souhaiter pour la suite ?

Que l’album marche fort déjà ! Que les gens qui m’écoutaient jusque là comprennent l’album et l’apprécient. Que les gens qui ne comprenaient pas ma musique jusque là rentrent dedans et que ça leur permette de découvrir mon univers et qu’ils kiffent aussi ! Que les lives reprennent l’année prochaine, ça serait vraiment une bonne nouvelle. Je suis déjà en train de composer pas mal de trucs ; j’ai des featurings cool qui se préparent et qui, je l’espère, vont se concrétiser donc plein de projets, affaire à suivre ! Même si j’ai toujours un pied dans la sortie de l’album, je suis déjà en train de penser à la suite.

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