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Épisode #7 – L’industrie musicale à l’épreuve du confinement : les salles de concerts

Épisode #7 – L’industrie musicale à l’épreuve du confinement : les salles de concerts

Les pertes générées par la fermeture des salles de concerts depuis le 14 mars ainsi que le flou autour des mesures sanitaires à appliquer – à compter de la réouverture des salles le 22 juin – risquent de compromettre leur santé financière (déjà fragile) à plus long terme et représentent un réel risque pour la diversité culturelle et musicale. 

Loin de rassurer les professionnels, les annonces faites par le gouvernement durant et après le confinement concernant le spectacle vivant ont suscité inquiétudes, incompréhensions et interrogations. Dimitri Sourie du Pop Up du Label, Matthieu Meyer du Trabendo et Eric Roux de la Rock School Barbey nous ont fait part de leurs ressentis, de leurs espoirs et de leurs craintes quant à l’avenir du secteur.

Les salles de spectacles ont été impactées bien avant le début du confinement. Comment s’est passé le début de la gestion de cette crise ?

Dimitri : En effet, nous avons dû annuler deux ou trois dates avant même le début de confinement. Depuis les premières annonces et donc depuis la fermeture du Popup, la priorité était de s’organiser afin d’assurer la pérennité des emplois de nos équipes. On a également commencé à évaluer nos pertes sur les 2/3 prochains mois sans activité. Puis ensuite, il a fallu commencer à gérer date par date, de la fin mars à fin avril (tout du moins au début, car depuis cela concerne bien plus de dates), afin de voir ce qu’on pouvait reporter.

Matthieu : On a vu les choses arriver assez vite. En fait dès fin février on a commencé à se dire que ça risquait d’avoir un impact jusque chez nous. Le 2 mars, on a eu notre première annulation pour un concert qui devait avoir lieu le 7 mars. C’était un artiste américain qui ne voulait pas prendre le risque de se trouver en quarantaine en Europe, il a annulé la tournée et est rentré chez lui. A partir de là, ça s’est enchaîné crescendo jusqu’au 13 mars et l’annonce de la fermeture des salles de plus de 100 places (on a 700 places au Trabendo). La suite, tu la connais…

Eric : Hm… Disons que, je ne sais pas si on a réussi à la gérer. On était obligés de la gérer puisque ça nous est arrivé de façon assez brutale. Le décret du confinement est sorti le lundi 16, on faisait partie des lieux qui devaient se confiner direct puisqu’on était pas une activité de première nécessité. On a fait une réunion d’équipe le lendemain, on avait déjà engagé la fermeture des locaux de répétitions le 15 et puis pour le reste, on a supprimé tous les cours à la Rock School [ndlr : la Rock School est l’école de musique de la Rock School Barbey], les concerts… Ça a été quand même un peu brutal puisqu’on est passés d’une situation où notre Président, le 8 mars, disait qu’il fallait sortir, qu’il n’y avait pas de problèmes. Une semaine après, il fallait tout cadenasser. Mais, on n’avait pas le choix, on s’en est tirés comme on pouvait mais plutôt sans panique.

Comment avez-vous reçu l’annonce d’Emmanuel Macron concernant la reprise des grands rassemblements pas avant la mi juillet ? La comprenez-vous ?

Dimitri : La décision, même si elle est dure à accepter, se comprend complètement et après quelques jours / semaines, on s’y attendait ! La priorité est la sécurité de chacun et il est important d’éviter la propagation du virus dans des lieux comme le nôtre où se mélange une clientèle liée à la restauration le midi et au spectacle vivant le soir.

Matthieu : Étant une salle de 700 places, on n’était pas directement concernés. Mais pour les confrères et consœurs qui gèrent des festivals, je pense que la décision était très attendue. Il faut comprendre que sans une interdiction formelle de ces rassemblements, c’est juridiquement impossible pour eux d’annuler sans se retrouver à payer des fortunes pour honorer leurs engagements. Malheureusement, cette annonce aurait dû être faite plus tôt et je pense que les rassemblements après mi-juillet n’ont pas compris pourquoi on les laisse dans l’attente.

Les salles de concerts n’ont pas été autorisées à rouvrir le 11 mai. Quel est votre ressenti au sujet de cette décision ? La comprenez-vous ?

Matthieu : Je comprends totalement cette décision, la priorité est évidemment de stopper la propagation du virus, aucun soucis là-dessus. Je comprends que le déconfinement doit se faire progressivement pour ne pas risquer un rebond et un retour au confinement qui serait terrible pour tout le monde, notamment pour les personnes les plus fragiles physiquement mais aussi socialement.

Comment allez-vous gérer la réouverture à compter du 22 juin ? Comment allez-vous faire pour appliquer les mesures sanitaires ?

Eric : Pour ce qui nous concerne, il y a un décret qui est sorti le 31 mai, entré en application le 2 juin, qui interdit pour l’heure (et même après le 22 juin) tout ce qui est de l’ordre du concert debout. On fait partie d’un syndicat qui s’appelle le SMA (Syndicat de Musiques Actuelles) qui regroupe la plupart des SMAC (Scènes de Musiques Actuelles) de France. On a une réunion de travail prochainement pour se mettre d’accord entre nous et porter notre parole auprès du ministère, parce qu’on aimerait bien y voir clair ! Parce que si on se fie au décret, dans le type d’établissement qu’est le nôtre (de type L), on ne pourrait recevoir des gens que si on pouvait les faire s’asseoir. Bon, comme il n’y a pas de sièges à Barbey, c’est vite réglé. On pourrait mettre des chaises mais bon, les concerts c’est pas ça. Et en plus , il faudrait qu’on respecte toutes les consignes qui sont à l’heure actuelle d’une personne tous les 4m², ce qui revient à diviser les jauges par 12. Donc, c’est vraiment impossible. Et, il faudrait un marquage au sol, si possible lumineux, et un drone au dessus pour surveiller que chacun reste dans son marquage. En gros, c’est totalement inapplicable pour nous.

On essaie de préparer la rentrée le plus sereinement possible. On est entre report, pas report, il y a des dates qui sont calées mais on ne sait pas si elles seront maintenues. On comprend aussi, c’est une évolution constante, rien n’est figé. On a un festival qui s’appelle Ouvre La Voix qui se déroule les 5 et 6 septembre, un festival itinérant qui emprunte la piste cyclable qui va de Sauveterre-de-Guyenne à Bordeaux avec des haltes à chaque village avec concerts etc, et on aimerait bien savoir ce qu’il en est. Donc, j’ai fait le tour des mairies, des préfectures… Pour répondre à la question : on n’a pas beaucoup de visibilité. Mais on travaille pour essayer d’en avoir plus. Voilà, ça c’est une réponse politique.

Estimez-vous que les indications données par le gouvernement sont claires et précises ou attendez-vous plus de précisions, d’accompagnement ?

Matthieu : C’est tout l’inverse de la clarté et de la précision. J’imagine très bien que les décisions ne sont pas évidentes à prendre, mais on a vécu des moments de solitudes dingues, avec une absence totale du Ministre de la Culture notamment ou des prises de paroles ubuesques de sa part et de celle du Président Macron qui donnent, une fois de plus, le sentiment d’une incompréhension totale de notre secteur.

Franck Riester a évoqué sur France Info une possible réouverture des salles de spectacle à partir du 2 juin. Mais pour de très nombreux lieux – la grande majorité – on a besoin de 2,3 voire 4 mois pour relancer la machine.

Si je prends l’exemple du Trabendo, toute notre programmation a été annulée jusqu’à début septembre. Et comme on reçoit environ 90% d’artistes étrangers, les 2/3 des concerts qui devaient avoir lieu à l’automne sont déjà décalés sur 2021. Au final, on va rouvrir avec 4 fois moins d’événements que d’habitude et avec une jauge divisée elle aussi par 4 pour respecter les mesures sanitaires.

Le risque pour nous c’est qu’en ayant à nouveau le droit d’ouvrir dès le 2 juin, on perde les aides qui nous permettent de tenir le coup économiquement. Si on n’a pas un soutien financier jusqu’à la fin de l’année 2020, je ne suis pas sûr qu’on existera encore en 2021.

Eric : On se sent perdus. On est d’autant plus perdus que notre bon Premier Ministre nous renvoie à nos propres responsabilités puisqu’il nous dit « Vous pouvez rouvrir » mais c’est sous telles et telles conditions et « si vous rouvrez c’est sous votre responsabilité » donc s’il y a un problème, c’est sur nous que ça tombera, ce qui n’est pas rassurant. La plupart des SMAC sont des structures juridiques associatives et la personne qui est responsable pénalement est donc le président de l’association qui est la plupart du temps un bénévole. C’est un peu beaucoup de lui demander de prendre la responsabilité de ce genre de choses. Donc non, c’est pas clair. C’est embrouillé. Et pas que pour nous !

Outre l’annulation de nombreux concerts, quels sont les autres impacts à court et moyen terme moins perceptibles ?

Dimitri : Le premier et principal impact est bien sûr financier. L’arrêt de l’activité à 100% et le manque de visibilité nuisent de manière conséquente au travail effectué depuis 6 ans. D’autant plus que certaines charges ne disparaissent pas par pour autant… D’autre part, une activité comme la nôtre, c’est à dire des concerts pouvant accueillir au maximum 160 personnes, ne permet pas de dégager des bénéfices exceptionnels. L’activité tient bon car nous arrivons à faire plus de 250 dates par an, or avec le contexte actuel, on comprend très vite qu’on sera très limités cette année en nombre de dates, ce qui fragilise fortement notre santé financière.

Matthieu : Il y a 2 aspects. Économique d’abord. Avec ces concerts annulés, c’est toute une chaîne de travail qui est impactée : on emploie des intermittents, des personnels pour l’accueil, le bar, le ménage, on fait appel à des prestataires techniques, des services de sécurité, des imprimeurs pour les affiches, des prestataires en communication numérique, des graphistes, on loge les artistes dans des hôtels et on les fait manger dans des restaurants. C’est tout ça qui est impacté par la fermeture des lieux de spectacle.

Artistique ensuite. La diversité culturelle risque d’en prendre un coup. La création est à l’arrêt, la production de nouveaux spectacles va prendre du temps à être relancée. Énormément d’œuvres et d’artistes vont passer inaperçus : la promotion des disques se fait beaucoup à travers les tournées. Si celles-ci ne sont pas possibles, c’est compliqué pour eux d’avoir de la visibilité. Quand on va reprendre notre activité, un disque sorti en mars 2020 ne sera plus dans l’actualité, l’intérêt du public, des médias, etc sera moindre face à un autre qui sortira en octobre. Ça va être très difficile pour certain.e.s.

Eric : Nous, comme beaucoup de SMAC, n’avons pas qu’une activité de concerts. Il y a l’activité de transmission avec la Rock School, l’activité de soutien à la scène locale avec la Rock School Pro, l’activité de soutien à la scène locale mais plutôt de quartiers populaires… Tous ces gens venaient répéter gratuitement à Barbey mais ne peuvent plus venir. En deux mois de confinement, on voit bien ce que les gens demandaient, c’était de la culture et de la culture et de la culture !

Donc ça a mis un coup d’arrêt brutal, on a décidé de rembourser tout le monde, y compris ceux qui prenaient des cours chez nous et il y a des gens qui ont refusé d’être remboursés. Ça a évidemment impacté l’équipe. Barbey, c’est une grosse équipe avec 45 personnes salariées (pas tous à temps plein) mais tout ce beau monde a dû digérer cette affaire sans que ce soit trop pénalisant pour eux. Le déclenchement du chômage partiel a été possible, on a été retenus comme structures qui pouvaient en disposer donc ça a permis de maintenir les salaires. Pour les intermittents qu’on avait ou qu’on allait embaucher sur les prochaines dates, on a pu aussi les payer. On a fait ce qu’il fallait pour sécuriser l’ensemble des personnels. Finalement, ça passe très vite. Je pense que cette affaire sera réglée dès qu’un vaccin sera trouvé. Je suis plutôt d’un naturel optimiste, je pense qu’en France on est sur la fin de l’épidémie. Tout reprendra cours dès que toute cette période ne sera plus qu’un mauvais souvenir dans nos têtes.

Après les grèves du mois de décembre/janvier et la crise actuelle, de quelles manières pensez-vous que les pouvoirs publics (et éventuellement le public) peuvent vous aider à faire face à cette crise sans précédent ?

Dimitri : À ce jour, l’aide liée au chômage partiel est vitale pour nous et il faudra également des aides plus spécifiques au milieu de la culture pour pouvoir garder la tête hors de l’eau. Tout en espérant que la situation ne dure pas éternellement.

En ce qui concerne l’aide du public, c’est compliqué car encore une fois nous manquons de visibilité. Cependant, il y a une plateforme qui s’appelle « J’Aime Mon Bistrot » qui a été mise en place et qui permet d’acheter ses futures commandes dès maintenant. Certains clients réguliers nous ont déjà donné un coup de pouce. On reçoit aussi beaucoup de messages de soutien, ça fait chaud au cœur !

Matthieu : Je ne sais pas trop de quelle manière concrète cela peut se matérialiser mais ce qui est certain c’est que le secteur tout entier va avoir besoin d’un accompagnement très solide pour que 2020-2021 ne soit pas une hécatombe. Aujourd’hui, les mesures de chômage partiel ou d’exonération des loyers par exemple maintiennent la plupart des structures en place. Si ça s’arrête trop vite, il va y avoir un effondrement du secteur. La culture est un secteur qui sait se réinventer, qui peut se mobiliser autour de valeurs et de pratiques saines pour l’avenir. J’ai tendance à penser que les pouvoirs publics feraient mieux de soutenir ce type de secteur, qui est aussi un immense producteur de richesse pour le pays.

Eric : Tous les ans, au 1er juin, on lance les pré-inscriptions sur la Rock School. On fait ça parce qu’on a à peu près chaque année autour de 1 000 demandes et on ne peut en recevoir que 500. Cette année, on a fait comme tous les ans et on a plus de pré-inscriptions à l’heure actuelle qu’on en avait l’année dernière à la même période. Je pense que la vraie vie, c’est pas le numérique, c’est pas les visioconférences… Tout ça c’est bien beau, ça pallie mais le vrai sens de la vie, c’est la rencontre. Je pense que dès que les choses seront possibles, les gens seront là (ça a été le cas avec les terrasses de café, dès qu’il a été possible d’y retourner tout le monde était au rendez-vous). Je ne pense pas qu’il y ait de défiance de la part du public.  

Comment appréhendez-vous l’après-confinement ? Quel est l’avenir du spectacle vivant ?

Dimitri : Les premières semaines risquent d’être particulières, surtout quand on part du principe qu’il faudra respecter certains gestes barrières comme la distanciation et le port du masque. En revanche, en ce qui concerne l’engouement des gens vis-à-vis des concerts et du spectacle vivant en général, on est plutôt confiants. Avec la situation actuelle et le fait de rester chez soi, je pense que les gens se tournent encore plus vers la musique et on espère pouvoir les accueillir au Pop Up très bientôt !

Matthieu : Très honnêtement, je ne sais pas. Bien malin sera celui qui saura deviner à quoi ressemblera le  spectacle vivant demain. Ce qui est certain c’est que tant qu’on doit s’en tenir à des mesures de distanciation physique, on ne peut pas exercer nos métiers de la même manière. Notre activité n’est pas viable actuellement avec une jauge divisée par 7. La plupart du temps, si on fait moins de 450-500 personnes sur un concert, on perd de l’argent. Avec 1 personne pour 4m2, on pourra en mettre 175 dans la salle. Et puis, ils ne pourront pas accéder au bar qui n’est pas aménagé pour respecter les mesures sanitaires. Sans compter que comme l’a très bien dit le directeur des Eurockéennes : « nous, on œuvre pour le rapprochement social », tout l’inverse de ce qu’on nous demande de faire.

Aujourd’hui, on réfléchit à des projets pour les mois à venir. L’idée sera d’occuper la salle, de faire des propositions pour permettre aux artistes d’être vus, aux intermittents de travailler et au public de venir en sécurité. Mais ça ne nous permettra pas de survivre économiquement, donc ça ne durera qu’un temps…

Eric : Je pense que petit à petit la situation va se rétablir et le public sera au rendez-vous. Évidemment, il faut être prudent, respecter les gestes barrières etc… Mais il faut bien vivre quoi ! Après, est-ce que ce virus a amené à réfléchir sur d’autres modes de consommation et de vie, j’en suis pas convaincu. Mais j’espère que ça aura laissé des traces et que ça permettra d’aborder un certain nombre de choses notamment liées au climat et à l’environnement de façon différente. 

Pour terminer sur une note positive, votre dernier mot pour conclure  ?

Dimitri : On a hâte de pouvoir réunir les équipes, retrouver le public et redonner la paroles aux artistes. On essaie tant bien que mal de préparer une grande fête pour célébrer les retrouvailles avec tous ces acteurs de la vie culturelle parisienne !

Matthieu : Haha malheureusement, je n’ai pas de note positive désolé ! Je suis profondément concerné par les questions environnementales, pas les notions d’égalité et de liberté, mais je ne crois pas franchement que le « monde d’après » dont on parle tant va arriver. Je suis assez pessimiste sur notre avenir à moyen/long terme… Mais ça n’empêche pas d’essayer de faire les choses mieux et au pire, j’espère qu’il y aura toujours des artistes pour accompagner l’effondrement et des publics pour venir les écouter 😉

Eric : Long live rock ’n’ roll !

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