Épisode #1 – L’industrie musicale à l’épreuve du confinement : les artistes
La Distillerie Musicale a souhaité donner la parole aux différents acteurs de l’industrie musicale afin de connaître leurs difficultés, leurs appréhensions mais aussi leurs modes de gestion face à la crise que nous vivons actuellement. Recueillir leurs témoignages est également notre manière de montrer notre soutien et notre solidarité.
Parmi les principaux acteurs impactés par la situation actuelle, les artistes sont au premier rang. Nous nous sommes donc entretenus avec trois artistes en développement, que nous apprécions tout particulièrement, pour recueillir leurs impressions confinées : Mokado, Dampa et Fils Cara.
Un peu plus d’un an après la parution de son premier EP, Mokado faisait son retour par la grande porte en février dernier avec Ghosts. Pendant ce temps, Dampa nous faisait vibrer avec A Spit from a Cloud, un inédit qui faisait suite à leur brillant EP Color.Blind qu’on ne peut que vous conseiller d’aller découvrir ! Pour finir, la dernière recrue de chez microqlima entamait cette nouvelle année avec un premier opus Volume qu’il a pu défendre sur scène, notamment en premières parties de L’Impératrice, Maxence ou encore Philippe Katerine.
Salut à tous ! On espère que tout va bien malgré cette période quelque peu étrange… D’ailleurs, comment vivez-vous ce confinement ?
Dampa : Salut ! Écoute ça va plutôt bien en fait malgré ce confinement, car nous étions déjà plus ou moins confinés chez nous depuis quelques mois, pour travailler ce qui devait être un premier album, et qui le sera d’ailleurs, mais peut-être sous une forme différente, moins conventionnelle. Pour résumer, on travaille d’arrache pied sur comment faire pour survivre à cette crise.
Mokado : Le confinement ne change pas en soi mon rythme. J’avais déjà l’habitude de travailler de chez moi et dans cet univers clos. Après, c’est toujours un peu difficile quand on ne peut pas sortir, quand on souhaite se changer les idées dans un contexte de création. Mais je ne suis pas à plaindre. Je vis le confinement dans des conditions assez agréables.
Fils Cara : Tout va bien. Je suis privilégié. Ma copine a une petite maison à la campagne, près de Saint-Etienne, dont je suis originaire. On est descendus de Paris la veille de l’annonce du confinement. C’est super, il y a du soleil et un petit espace extérieur donc c’est cool.
Comment occupez-vous votre confinement ? Arrivez-vous à créer malgré l’enfermement et la privation de liberté ? L’inspiration est-elle au rendez-vous ?
Dampa : En ce moment nos journées sont bien remplies car nous travaillons sur une nouvelle façon de créer un lien avec notre public. En parallèle, bien entendu, nous continuons à composer de nouvelles chansons !
Cette période de confinement nous permet de faire le point et de réfléchir l’avenir de manière sereine et posée. Le fait de ne pas aller donner de concerts nous offre plus de temps d’affilée pour concevoir le futur, ou du moins, le nôtre.
La création et l’inspiration sont au rendez-vous. Par chance, nous nous étions préparés à affronter de longs mois de confinement avant son décret officiel. C’est toujours plus facile à vivre quand c’est toi qui l’ as décidé !
Mokado : Je travaille sur mon premier album. C’était prévu de base dans mon planning d’avoir du temps au printemps pour le composer donc ça « tombe à pic » si on peut dire ça. Ça me laisse davantage de temps pour m’y consacrer.
Pour l’inspiration, c’est différent. Je n’ai pas nécessairement besoin de m’évader pour créer. C’est même plutôt l’inverse. Je suis plus à l’aise en étant dans ma bulle mais le fait d’avoir peu d’activité limite ton esprit à sortir de ses questionnements incessants qui surgissent en période de création. Donc, j’essaye de regarder des films, lire des livres, juste laisser mon esprit s’évader pour ne pas toujours réfléchir et penser musique sinon j’ai tendance à me laisser aller au stress ou aux questionnements existentiels (haha).
Fils Cara : Je fais énormément de musique. Je travaille sur des choses que je n’ explore pas le reste du temps quand je suis dans l’efficace à Paris, que je dois gérer un concert et un disque. J’en profite pour vraiment expérimenter des choses qui n’ont rien à voir avec mon univers musical. Je m’amuse à fond, je fais des choses qui sont beaucoup plus simples, il y a des chansons qui sont beaucoup plus pures que quand je suis à Paris. J’ai amené ma guitare, je vais pouvoir faire et envoyer quelques maquettes. C’est pas le grand luxe mais c’est déjà ça !
Quels sont les impacts directs et/ou indirects de cette crise sur votre carrière, vos projets ?
Dampa : Les impacts directs de cette crise sont les annulations de dates de concert bien entendu, comme pour tous les musiciens de live. Mais indirectement, ça te pousse à réfléchir sur comment s’en sortir après, mais également pendant, car on ne sait pas du tout comment sera fait le futur pour notre société, nos droits nos libertés etc. et il est hors de question de laisser mourir la musique indépendante, donc nous travaillons d’arrache pied sur ce sujet qui on l’espère nous sauvera, et en sauvera d’autre. T’as vu ce suspens un peu ? haha
Mokado : En terme de production pure, ça n’a rien changé (à court terme). C’est plus au nouveau du tour où là ça amène plus de doutes. Il était possible que je fasse quelques festivals cet été et j’avoue ne plus trop y croire. Ça pose également la question des dates à venir en 2021. Beaucoup d’artistes ont dû arrêter toute leur promotion et leurs dates. Il est logique qu’ils soient soutenus et reviennent sur la saison 2021 sur les festivals ou SMAC. Mais du coup, ça pose la question des jeunes artistes qui ont déjà du mal à sortir du lot qui voient déjà l’année 2021 leur passer sous le nez.
Ce sujet est plus que complexe et pour un jeune artiste en développement, d’autant plus dans un style musical en marge, il y aura toujours des difficultés. L’idée est de toujours mettre l’artistique au centre pour présenter le projet le plus abouti. Les problématiques organisationnelles et marketing, ça vient par la suite avec nos moyens.
Fils Cara : Le premier truc qui a été un peu relou a été l’annulation des concerts, de la promo. Mais, c’est aussi relou pour le moral des équipes des tourneurs.
On peut aussi parler d’impacts psychologiques parce qu’il n’y a pas de réel impact physique – je ne fais perdre d’argent à personne, il n’y a pas la grande industrie qui est derrière et qui est en train de s’effondrer – donc finalement, pour moi, c’est très cool. L’impact est aussi positif parce que je mange mieux et c’est hyper important de pouvoir bien s’alimenter et de rester en forme pour la carrière d’un jeune artiste. Au retour de ça, je serai un bon boxeur.
Mais au delà de ça, je peux aussi réfléchir à une stratégie plus à long terme, notamment avec les partenaires que j’ai au téléphone toute la journée. Ça ne change pas grand chose, ma recherche artistique est la même, je travaille toujours autant. Au niveau du business, ça permet de mette en place des stratégies, avec mon tourneur et mon label, qui ont été repoussées à l’automne mais on sera prêts et contents de reprendre la scène.
Aider l’industrie musicale, c’est avant tout aider les artistes.
Selon vous, que pourraient faire les médias, les pouvoirs publics et/ou les organismes de gestion (SACEM, ADAMI) ou même le public afin d’aider l’industrie musicale ?
Dampa : Peut-être resserrer le lien entre public et groupe local, il y a énormément de petits projets qui ne sont pas dans la lumière médiatique et qui le mériteraient amplement de part la quantité de travail qu’ils fournissent pour espérer toucher un peu d’audience, contre un artiste de Major qui va avoir 10 ou 20K à mettre dans un sponsoring sur les réseaux, tu peux pas lutter. C’est compliqué et chronophage pour rester à la surface…
Aider l’industrie musicale, c’est avant tout aider les artistes, ce sont eux qui créent ce pourquoi les plateformes de streaming ou les grosses Majors s’enrichissent. C’est bien entendu valable dans tous les autres domaines.
Mokado : Je ne sais pas si je suis le mieux disposé à parler de solutions car je ne suis pas un expert de la gestion du monde culturel. Cependant, je vois bien les bouleversements qui interviennent dans le secteur dans lequel j’évolue et effectivement, on voit bien qu’une nouvelle organisation doit se mettre en place. On sait que la culture est toujours la dernière roue du carrosse dans l’économie française. Il ne tient qu’à nous de nous soutenir et mettre des initiatives en avant. J’ai du mal à voir les solutions possibles mais je sais que chacun à son rôle dans ce projet. L’important est surtout de soutenir les projets les plus fragiles. Je ne suis personne pour dire quoi faire. Mais, il est certain que j’utiliserai mon statut de citoyen (autant que de musicien) pour travailler sur des projets pertinents si l’occasion se présente.
Fils Cara : Tout le monde doit garder sa place et savoir ce dans quoi il s’est lancé. Quand on est artiste, on sait évidement qu’il y aura des moments qui seront complexes. Il faut faire attention à ce qu’on fait et à bénéficier à ce à quoi nous avons le droit.
Le chômage partiel est fondamental pour les intermittents, auquel on va pouvoir bénéficier, ou pour d’autres professions. J’ai vu que la SACEM avait fait des avances non recoupables, ce qui peut être intéressant, mais je me questionne sur les bénéficiaires de cette aide parce que j’ai entendu dire que tout le monde ne pouvait pas y prétendre. J’ai lu que Radio France se mobilisait. Mais au fond, c’est à l’État de régler ce problème, c’est le sens normal des choses.
On n’entend pas RIFFX, les fondations dédiées à la musique des grandes entreprises et des banques ou Firestone qui sont sponsors de grands festivals (Rock En Seine, We Love Green, Solidays). Ce n’est pas un cri contre je ne sais pas qui, je ne suis pas Balavoine mais il faudrait qu’ils soient cohérents. Je trouve que c’est un peu con qu’on ne leur demande pas de contribuer pour faire tenir les festivals jusqu’à l’année prochaine. Le public n’a rien à faire là-dedans.
Comment appréhendez-vous l’après confinement ? Certains parlent d’un embouteillage de sorties d’albums et de concerts à la rentrée… Qu’en pensez-vous ?
Dampa : C’est sûr que ça risque d’être bien bouché… Mais en même temps, la quantité d’artistes qui sortent de la nouvelle musique tous les jours est impressionnante, à commencer par l’excellente initiative des Nantais de Confiné-e Records qui viennent renforcer cette idée. Ils regroupent 29 tracks d’artistes différents, tous les jours depuis le début du confinement, et en sortent une compilation, 19 MORCEAUX PAR JOUR ! Ca en fait des nouvelles sorties alors qu’on est confinés ! Allez donc y jeter une oreille, on y a composé 2 chansons cachées parmi les innombrables titres qu’ils ont reçus, et qu’ils reçoivent toujours.
Le marché peut-il être encore plus saturé ?
Mokado : Il est difficile d’avoir une vision claire quand on doute déjà de la date de fin de confinement. L’Etat parle du 11 mai mais on remarque bien que les organisations ont du mal à suivre et il est peu probable que tout redevienne comme avant en un claquement de doigt le 11 mai. Il est logique que nous devons attendre davantage et c’est cette incertitude sur une date claire qui pèse.
Il y a déjà beaucoup de sorties en même temps et actuellement il est déjà difficile d’exister dans le paysage musical avec le nombre de sorties le vendredi. Le marché peut-il être encore plus saturé ? Je ne sais pas. Au fond ça reste un problème business et marketing. D’un point de vue artistique, c’est plutôt encourageant de voir que les gens composent et utilisent ce temps ralenti pour réfléchir et composer de belles choses.
Dans ce contexte anxiogène, je préfère retenir les belles initiatives comme les différents festivals qui s’organisent en ligne, la relation proche que l’on peut construire avec son public, avec ces événements pourtant numériques ou encore le lancement de label spécial confinement comme Confiné-e Records. C’est ce ce que j’aime retenir de cette période.
Fils Cara : J’ai beaucoup de chance parce que mon disque Fictions devrait sortir a priori après le confinement. On voulait continuer à surfer sur la vague de Volume qui est sorti en janvier dernier et j’avais déjà ce disque que j’ai fini de mixer il y a peu. Je pense que l’après confinement est bonne période stratégique parce que c’est un EP un peu plus solaire, plus dansant que Volume (pour accompagner l’hiver et le printemps). Le disque est cool et en le sortant après le confinement, on pense que ça pourrait fabriquer une plus grosse attente pour les dates et les festivals de l’année prochaine. Le confinement a été aussi une bonne période pour sortir la live session de Hurricane qui est un peu intemporelle. Ça aurait été plus étrange de sortir cette session en noir et blanc, enfermé en mai où il fait chaud. Mais, comme c’est un peu hors du temps, le confinement tombait bien pour sortir cette live session.
Dès qu’on va sortir du confinement, je vais pouvoir monter la résidence pour le live de ce prochain EP donc on commence à penser les choses en amont. Effectivement, ça sera l’embouteillage, c’est sur et certain et ça a été confirmé par mon tourneur. Toutes les salles de concerts vont être full jusqu’à l’été prochain. Je devais faire le Chantier des Francos. Normalement, tout sera reporté l’année prochaine, mais je ne pense pas que cela fonctionnera pour les têtes d’affiche. Mais pour nous, plus petits artistes, c’est quand même une aubaine de ne pas avoir toute une industrie construite autour de soi. Je pense que c’est intéressant et important, pour un artiste en développement, d’occuper le terrain (confinement ou pas), de sortir des trucs et de ne pas repousser à après, c’est une bonne fenêtre de tir. Plus il y a d’offres, plus on consomme. Ça va faire du mouvement sur les playlists, sur les chaines distributeurs.
Pour terminer sur une note positive, votre dernier mot pour conclure …
Dampa : Envoyez nous un email sur dampa.family@gmail.com pour en savoir un peu plus sur le projet que nous préparons en coulisses ! Merci pour cette interview ! Bisous de loin.
Mokado : Comme je te disais, je vais continuer et finaliser la préparation de mon premier album. C’est un travail long et complexe mais plus qu’excitant. On va essayer de préparer la suite sans savoir quand elle sera mais il est sur qu’elle sera là un jour 🙂
Fils Cara : Fictions sort bientôt. Je suis très content de ce disque et il faut aller l’écouter. Et surtout prenez soin de vous ! Je suis très optimiste et confiant, je ne pense pas que ça ira en se dégradant, ça va bien se passer et ça nous aura tous fait sortir de notre zone de confort.