
Rédacteur en chef, Fondateur
On a eu l’immense plaisir de discuter avec Molécule, plongeant dans ses expéditions passées mais également en s’immergeant dans son processus créatif, sa volonté de transmettre des émotions et sa quête d’expérimentations sonores !
Salut Romain ! Tout d’abord, un grand merci de prendre le temps de nous rencontrer. On te suit depuis de nombreuses années et on est ravi de te retrouver ce soir avec ABRAN en première partie mais également au coeur d’une jolie scéno signée Visual System. Avant d’attaquer, comment vas-tu en ce moment ?
Hello Mathieu ! Ecoute tout va très bien, c’est le début de la saison des festivals, on est dans le Nord à Bethune et il fait beau donc ça fait franchement du bien ! J’ai fini mes balances, le lieu du concert de ce soir est très chouette, avec une équipe sympa donc toutes les conditions sont réunies pour passer une belle soirée !
On a hâte ! D’exploration polaire aux racines de la reggae music, ou encore plus récemment avec la sortie d’un album composé avec l’Orchestre National de Lille, tu ne sembles te poser aucune limite dans ton processus de création mais également dans les styles musicaux que tu remanies avec brio. D’où te vient cette envie ? Est-ce le reflet d’un éclectisme musical personnel ?
Oui, c’est sûr que c’est étroitement lié à mon éclectisme musical, tout ce que j’écoute dans ma vie quotidienne mais aussi grandement influencé par cette envie de ne pas tourner en rond, un réel besoin de me renouveler. Et comme chaque projet a un thème spécifique voire une destination, ça s’y prête !
Et je dois aussi t’avouer que j’aime ne rien préparer à l’avance ! J’adore le fait d’aborder un projet avec toutes les portes grandes ouvertes, savoir que je ne me pose aucune limite et que c’est le projet en lui-même qui va déterminer dans quelle direction je vais aller. Je me laisse complètement guider sur le moment.
En y réfléchissant, si je me contenais à un style ou une direction artistique précise, un dénominateur commun assez fort se créerait entre toutes mes sorties, musicalement parlant, alors que jusqu’à maintenant ce sont les émotions du moment, les rencontres, les lieux qui m’inspirent et font l’essence de mes projets. J’aime laisser le champs des possibles ouvert !
J’adore cette idée de t’octroyer la liberté d’apprécier le moment présent et de le retranscrire intuitivement en musique ! Mais, bien que tu aimes ne rien préparer à l’avance, on imagine qu’il y a tout de même une préparation physique ou mentale puisque tu t’immerges au coeur de la nature, dans des conditions assez éloignées de ta vie quotidienne.
Alors la plus grosse préparation et ce qui est le plus difficile à mettre en place c’est vraiment de ne rien anticiper ! Il y a des choses qu’évidemment tu prépares sans vraiment y réfléchir, assez intuitivement ; quand je suis parti au Groenland pour la composition de -22.7°C je savais qu’il allait faire très froid, que j’allais avoir besoin d’un certain type d’équipement qui peut supporter les conditions climatiques extrêmes ; quand je pars pour composer Nazaré je prends évidemment une combinaison et du matériel qui ne craint ni l’eau ni le choc des vagues qui sont très puissantes. Mais c’est tout !
J’aime que mon esprit soit libre, ouvert et capter tout cela sur l’instant, peu importe les conditions dans lesquelles je me retrouve afin d’avoir une authenticité sans avoir d’attente en terme de sons que je vais glaner sur le terrain. Je me laisse entièrement porter par ce que je vis sur le moment et ça me permet de parfaitement retranscrire toute l’émotion vécue et qui se transforme en direction artistique du projet. C’est notamment pour cela que je bosse chaque projet in-situ, pour ne rien dénaturer et pouvoir transmettre au public des émotions fortes, une vraie immersion à mes côtés dans chaque aventure.
Et on te remercie pour cela ! Tu nous embarques avec toi, grâce au field recording, au coeur de la nature et c’est un voyage qui nous transcende à chaque fois ! Mais on se demandait quel a été le déclic de ton côté, qu’est-ce qui t’a donné envie de sortir du studio pour capter directement les sons dans la nature ?
Ecoute c’est une très bonne question ! Je n’ai pas réellement de réponse à te donner… Mais pour retracer rapidement mon parcours, je suis guitariste à la base, je m’étais acheté un petit enregistreur pour le fun. Et un jour, quand j’étais étudiant, je me suis dit que ça pouvait être drôle de le prendre pour enregistrer les sons lorsque je partais à la fac, puis des sons d’ambiance de bars, de soirées… J’ai commencé à bidouiller tout ça, à mettre de la guitare par dessus sans forcément avoir de but précis.
Puis j’ai lâché les études pour me consacrer entièrement à la musique, avec le rêve de partir un jour en mer. Mais j’ai attendu quelques temps, j’ai fait des rencontres pour me former, échanger avec les gens… Je suis autodidacte donc j’avais besoin de me rassurer, de voir si j’avais réellement les capacités de mes ambitions ! Et l’aventure a réellement commencé avec la composition de 60°43′ Nord car c’est à ce moment que j’ai compris qu’en étant en pleine mer j’allais pouvoir découvrir et enregistrer un environnement sonore très singulier, une matière première dingue pour créer, avec en complément tous les instruments que j’avais amené avec moi !
Donc cette envie de capter les sons environnants de la nature pour les transformer en musique s’est développée assez naturellement, intuitivement…
Ouais carrément, et puis ça fait sens aussi avec ce plaisir à faire de la musique dans un lieu particulier, capter l’empreinte acoustique qui lui est spécifique et que ce soit ainsi inscrit dans le processus du design sonore.
Pour tout te dire, après cette première aventure, je suis rentré hyper fatigué mais en même temps ça m’a apporté un sentiment d’accomplissement, de satisfaction très intense ! J’avais déjà composé des albums, collaboré avec d’autres artistes en studio, dans une voie plus classique mais je ne vais pas te mentir qu’après ce premier voyage je n’avais qu’une idée en tête : repartir à l’aventure pour retrouver ce sentiment si plaisant !
C’est drôle que tu nous confies cela car en amont de cette interview, on a discuté avec ABRAN qui développe également des concepts forts à travers de multiples expérimentations comme pour son EP Doppler. Il voulait te poser une question : tu as une approche très sensorielle et je me demandais, que retires-tu personnellement de toutes ces expéditions ?
Tout d’abord, je pense que le dénominateur commun à tous mes voyages c’est l’effet du son ! J’aime cette idée que le son a un pouvoir, aussi bien physique qu’émotionnel. Pour l’anecdote, en athlétisme il est interdit de faire la finale des Jeux Olympiques avec des écouteurs car c’est considéré comme du dopage. C’est un exemple assez concret ! Il y a cette idée que le son a un réel impact sur les humains, que ça peut aussi bien t’aider à te ressourcer qu’à te déconnecter. Et c’est cela que j’adore dans la musique, car en composant au plus près de la nature, je ressens tout cela et j’ai une réelle envie de partager ces émotions, ces ressentis avec mon public. D’où cette quête d’immersion, avec une dimension d’aventure que les gens traversent grâce à la musique et qui les changent, ou du moins qui les bouleversent un minimum. Les expériences que je mets en place titillent cette notion là et me procurent beaucoup de bonheur !
On a eu la chance de te voir de nombreuses fois en live, aussi bien avec la performance B.P.M où tu te connectais à une machine par la pensée, qu’un de nos lives favoris à La Cigale pour lequel tu nous avais plongé dans le noir avec une spatialisation à 360° de la musique. Et c’est donc cela que tu souhaites transmettre à ton audience, une plongée au coeur de la musique dans un format travaillé pour éveiller nos sens et nous faire ressentir toutes les émotions que tu as ressenties lors de la composition ?
J’aime cette idée de faire vivre une expérience assez unique au public ! Je repars d’ailleurs à la rentrée avec ce Live Acousmatic à la Philharmonie de Paris – les 27 & 28 novembre – et j’espère qu’on pourra le faire tourner pour le présenter au plus grand nombre car j’adore plonger les gens dans le noir, leur couper ce sens pour renforcer les sensations auditives et capter ainsi encore plus de détails, d’aspérités dans le son. Ce sera une version 2.0 car on veut pousser les curseurs encore plus loin donc préparez-vous à une belle immersion !
On est plus que prêts ! Et on te remercie d’ailleurs de proposer ce genre de formats qui dénote, bouscule les codes classiques des concerts et nous font réaliser que la musique électronique peut bien évidemment rassembler, être dansante mais peut tout aussi bien s’apprécier avec davantage de contemplation et un regard, une écoute plus attentive !
C’est vrai que les standards de la musique électronique amènent une énergie différente, avec des scénographies dynamiques, des écrans ou encore des flammes qui viennent marquer les drops… C’est cool mais j’essaie de proposer quelque chose de différent grâce aux outils qui s’offrent à nous et en travaillant avec des techniciens comme Hervé Desjardins qui m’accompagnait sur la première version de ce Live Acousmatic afin de faire ressentir au public de nouvelles émotions !
Avant de conclure cette interview, on souhaitait te demander si il y a une expérience sonore ou même un lieu que tu rêves d’explorer pour créer.
Tu fais bien de poser la question parce qu’en ce moment je suis en train de travailler sur un projet pour capter le son des Abysses. Je vais essayer de larguer des systèmes d’enregistrement dans les fonds marins, au coeur des endroits les plus profonds du globe pour découvrir ce nouvel environnement sonore ! Mais je t’avoue qu’on est qu’au tout début du projet.
Incroyable ! On a grandement hâte de suivre tout cela, et ça nous fait penser à quelque chose d’ailleurs : te suivant depuis de nombreuses années, on perçoit qu’il y a un certain fil conducteur dans tes projets – l’eau, présente aussi bien sous la forme des vagues, de la banquise, ou en tant qu’élément central lors de la captation durant le Vendée Globe…
C’est vrai que je suis un grand amoureux des océans ! Comme tu le sais, je suis parti m’installer en Bretagne, j’adore naviguer ou même juste admirer la mer. L’élément eau est clairement central et est surtout une source inépuisable d’inspiration pour moi ! Il y a également quelque chose de très métaphorique avec l’eau. L’horizon que tu observes en regardant la mer, ça peut être la frontière entre le conscient et l’inconscient. Partir en profondeur, découvrir les fonds marins c’est également partir découvrir ce qui se cache au fond de soi. Une sorte de quête humaine, personnelle, une réflexion sur les grands mystères de la vie !
Un grand merci Romain pour cette immersion au coeur de ton joli projet ! On te souhaite de belles nouvelles explorations et on a déjà hâte d’embarquer avec toi dans ce prochain voyage !