Rédacteur en chef, Fondateur
A quelques heures de la sortie de son nouvel EP BIAS, on a pu discuter en profondeur avec Lydsten, un artiste qu’on aime aussi bien pour sa musique que pour l’humain qu’il est !
Salut Christian, ça fait pas mal de temps qu’on te suit et tu as toujours éveillé notre curiosité. On t’a vu évoluer, aussi bien musicalement que dans ta direction artistique globale. Peux-tu ainsi nous présenter qui est Lydsten ?
Hello Mathieu ! Ravi d’être là ! Alors, pour commencer je m’appelle Christian, je suis compositeur de musique électronique depuis quelques années maintenant. Si je devais préciser, je qualifierais ma musique de contemplative, avec pas mal de piano et de machines, et avec une dimension live retravaillée pour apporter une nouvelle couleur à mes compositions.
Comme on l’évoquait, en dehors de ta musique, tu développes un réel univers aussi bien visuel que graphique, avec des tonalités froides, brutes, à l’image de ton nom d’ailleurs qui signifie « pierre sonore » en danois. Tu as une direction artistique très précise et riche ! Que souhaites-tu raconter ou transmettre à travers ce projet musical ?
Alors je trouve ça marrant comme question parce que c’est souvent quelque chose que l’on me demande, à savoir quel message je veux faire passer à travers ma musique, pourquoi telle ou telle direction artistique… Tout cela parce qu’à la base je fais de la musique pour me faire plaisir, sans prétention. Je n’ai pas la sensation de faire de la musique pour faire vivre quelque chose à quelqu’un en particulier, j’ai davantage l’impression de faire de la musique pour me « soigner », raconter des choses que j’ai en moi.
Je n’ai pas vraiment de choses à dénoncer… Je fais presque plus de la musique pour taire quelque chose que pour raconter un truc en particulier !
D’où ce choix artistique de teintes froides, de mélodies contemplatives qui prennent le temps de se développer et d’amener cette sensation d’introspection, de faire ressortir des sentiments…
En vrai sur l’aspect « teintes froides, couleurs sombres » je ne pourrai pas réellement te répondre. Je ne choisis pas cela, c’est plus une esthétique qui vient naturellement, qui me parle, qui me ressemble. Pour tout te dire, je ne pense pas être quelqu’un de solaire à la base. Je suis quelqu’un de très timide, souvent dans ma bulle même avec mes amis ou ma famille. C’est juste qui je suis ! Je n’essaie pas de créer un truc, c’est 100% moi derrière ce projet, un mec introverti qui dégage des tonalités froides car elles renvoient à mes origines scandinaves. Les contrée danoises m’inspirent beaucoup : à chaque fois que j’y retourne, je puise quelque chose de cette nature, il y a un sentiment de quiétude qui s’en dégage et ça me fait un grand bien ! Et je pense que c’est surtout ça qui fait que ma musique peut paraître plus sombre car on est moins habitué à ces paysages en France, cet aspect moins solaire, plus froid.
En effet ! Et tu fais d’ailleurs aussi preuve de sobriété vis à vis des réseaux sociaux, de ta communication en général mais également d’une pudeur naturelle sur scène, notamment à la fin de tes concerts, quand tu remercies ton public. C’est quelque chose aussi qui dénote et qu’on trouve très intéressant car tu n’en fais jamais trop et tu dégages une réelle humilité !
C’est drôle que tu aies remarqué cela ! Je crois que je suis en effet pudique, je ne sais pas si c’est faire preuve d’humilité mais c’est vrai qu’en regardant les vidéos de mes concerts, avec le recul, je me dis « mais prends le temps de faire les choses, de remercier encore plus le public ». Même sur scène je suis pas mal dans ma bulle… Je suis toujours impressionné d’avoir des gens présents, attentifs à ce que je fais alors que dans ma tête je suis focus. Chaque concert je le vis d’une nouvelle manière car il va totalement dépendre du mood dans lequel je suis sur le moment. Bien évidemment je sais ce que je vais jouer mais je laisse tout de même place à l’improvisation, notamment selon la réception du public.
Mais en même temps je ne me vois pas incarner ma musique en l’exagérant, en faisant des grands gestes, en surjouant tout ce que je fais !
Et c’est notamment ça qui nous plait chez toi ! On perçoit que ta démarche est sincère, authentique, que tu ne te caches pas derrière un personnage, que tu transmets des émotions très personnelles… Il y a une réelle cohérence entre l’image que tu renvoies et qui tu es.
Limite j’ai pris un nom de scène mais j’aurais totalement pu signer ma musique sous mon nom civil tellement je fais quelque chose qui me ressemble, à l’image de qui je suis dans la vie quotidienne. Donc ça fait vraiment plaisir que tu ressentes tout cela en m’écoutant !
D’ailleurs, tu as récemment posté une story dans laquelle tu t’adressais directement à ton audience, leur demandant quel type de contenus ils attendaient en te suivant sur les réseaux sociaux. Mais toi, quelle est ta vision de la relation artiste-fanbase ?
Justement ! Les stories que j’ai postées à ce propos sont parties d’un ras-le-bol de tous ces aspects négatifs des réseaux sociaux, des algorithmes qu’on ne parvient pas à déchiffrer, de ce côté où on te pousse à payer pour mettre en avant ton contenu… Tu peux poster des choses qui te semblent pertinentes, des posts qui mettent en avant le graphisme de ma musique, des sessions au piano… Mais il n’y a rien qui prend particulièrement car les réseaux te brident et ne poussent pas tes contenus à ton audience entière directement. Je sais qu’il y a des formats à respecter pour rentrer dans l’algorithme mais d’un autre côté je m’en fous de ces codes à respecter. Mais en même temps j’aimerais bien que les gens découvrent ma musique, mon univers en me suivant sur les réseaux. Je suis vraiment tiraillé par cette question : savoir ce qu’il faudrait faire sans pour autant me dénaturer.
C’est pour cela que j’essaie d’en faire le moins possible, de rester naturel dans ma communication pour être aligné avec qui je suis mais de nos jours il faut que tout aille vite, aller droit au but, poster des contenus de 10s qui marquent… Mais je n’arrive pas à penser comme cela. Tu ne me verras jamais en face cam « Salut c’est Lydsten, va écouter ma musique ».
Tu as raison ! Je pense que depuis quelques années il y a une certaine pression sur les réseaux avec, comme tu le disais, des trends, des formats à respecter et surtout être percutant en captant l’attention en 1s… Toi tu prends un peu le contre-pied de tout cela en faisant du « Christian » et je trouve cela chouette que tu oses t’adresser avec pudeur alors que tes followers sont là pour toi.
C’est ça qui est marrant ! Quand j’ai posté la story, j’ai immédiatement reçu des messages me disant « continues ce que tu fais ! » donc c’est rassurant ! Mais en même temps, pour faire connaître ma musique à de nouvelles personnes, il faudrait que je fasse une promo différente, plus poussée. Mais finalement ce n’est pas mon objectif principal. J’aime déjà prendre le temps pour les gens qui me suivent, leur offrir le contenu qu’il veulent voir et que des nouvelles personnes me découvrent organiquement.
Pour revenir à ta musique, tu as dévoilé le 1 mars WHAT YOU SEE qui signait ton grand retour suivi de YOU WON’T qui officialisait la sortie d’un troisième EP accompagnée d’une release party le 20 juin au Point Éphémère. Que peux-tu nous confier à son propos ?
Tout d’abord, je considère ce nouvel EP comme mon second ! Pour t’expliquer, Calcite je le perçois plus comme un assemblage de pleins de morceaux que j’avais sortis track par track. Je les ai rassemblés plus pour la forme que pour avoir un réel EP. Pour AGATE j’ai vraiment commencé à bosser une direction artistique. BIAS sera donc mon second EP. Il sort le 24 mai et c’est la première fois que je me pose vraiment sur l’histoire. Il m’a pris pas mal de temps, plus d’un an pour conceptualiser tout ce que je souhaitais raconter avec ce disque. Un et demi de réflexion et un an réellement pour le produire. Ça a pu être compliqué parce que j’avais une certaine pression, que je me mettais tout seul, parce que j’avais envie de passer un cap au niveau du storytelling. Toute la difficulté est de raconter quelque chose sans avoir de paroles dans ma musique. C’est full instrumental, organique, avec des machines. Je ne voulais pas juste avoir les visuels qui transmettent l’histoire, je voulais avoir des émotions qui se dégagent de la musique. Avoir une cohérence musicale c’est déjà quelque chose à part entière mais en plus de cela aller raconter quelque chose de précis, qui me parle. C’est vraiment difficile dans la musique instrumentale mais c’est quelque chose que j’essaie de faire : procurer des vraies émotions aux auditeurs. Pas juste qu’ils aient quelque chose de « moody », une musique simplement triste ou joyeuse mais qu’ils perçoivent chaque détail, la souffrance, l’ouverture vers l’avenir… Retranscrire entièrement les émotions que j’avais lors de la composition en passant par la setlist, le déroulé des morceaux, les textures que je mets dedans, etc.
Ce prochain EP s’intitule BIAS et on te sait très perfectionniste. Ainsi, peux-tu nous confier quelle est la symbolique derrière ce choix de titre parce qu’il y a plusieurs traductions de ce titre !
Alors je ne l’ai pas pris dans le sens de « préjugés » mais plus dans le sens de « biais », comme les biais cognitifs. L’idée c’était vraiment de raconter une période, il y a un an, dans laquelle j’étais pris de pas mal de « biais cognitifs » on va dire. Ça raconte un peu cette « dualité », d’être entre deux mentalités différentes. Pour être 100% honnête avec toi, j’ai vécu une période de dépression. J’avais tout d’abord comme idée d’appeler l’EP Distorsion Cognitive mais je trouvais ça trop dur comme nom. BIAS amène davantage à la réflexion je trouve. Tu peux parler de la perception négative que tu peux avoir d’une situation alors que les choses se passent plutôt bien, que ça va dans le bon sens. De la dévaluation que j’ai pu avoir à mon propos qui m’a amené à faire des mauvais choix dans ma vie… Dans cette industrie il se passe pleins trucs, tu es attiré dans tous les sens, que ce soit avec le sens de la fête dans les concerts ou festivals… Il y a beaucoup de choses qui peuvent te faire te retrouver complètement à la masse mentalement parlant. Si toi tu n’es pas à l’aise avec ce que tu fais, que tu n’es pas droit dans tes bottes, je pense que tu peux vite te perdre… C’est ce qu’il m’est arrivé personnellement.
Behind what you see. You won’t burn loving yourself.
Mais à la fin il y a quand même une ouverture vers l’avenir avec le diptyque avec BURN / LOVING YOURSELF. Ca peut paraître un peu niais mais apprends à t’aimer et une fois que tu es en accord avec toi-même, le reste viendra naturellement.
D’ailleurs, en parlant de tracklist. Les six noms des pistes semblent créer une sorte de « motto » reflétant l’idée qui se cache derrière ce disque.
Exactement ! C’est 100% réfléchi, tout a été pensé en amont ! Pour tout te dire, le nom des tracks est arrivé à la toute fin du processus de création de l’EP afin d’englober l’histoire. Le premier morceau que j’ai composé c’est WHAT YOU SEE, que j’ai pas mal jouer en live l’an dernier. Il a certes bien évolué depuis mais le fond n’a pas changé. Je n’étais pas en accord avec moi-même lorsque je l’ai composé. J’étais un peu au fond du trou… Donc on sent la détresse dans ce titre. Il raconte la dualité entre ce que les gens voient, ce que tu dégages, et qui tu es réellement. Ma famille, mes amis me voient comme quelqu’un qui a réussi dans la vie, dans mon travail, dans ma musique et pensent ainsi que tout va bien. Les gens mettent de l’estime pour tout ça alors que dans ma tête c’est le strict opposé.
Je te parle de cela pour te démontrer que chaque morceau avait du sens, devait « fitter » dans un moment de l’EP. Les quatre derniers titres je les ai recomposés en quasiment deux semaines, tout est sorti d’un coup et ça avait du sens parce que j’avais posé cette histoire. Cette trame m’a clairement aidé à finaliser tout.
On a eu le privilège de l’écouter et on a remarqué qu’à chaque nouvelle sortie, la frontière entre ta vie personnelle de ton projet musical s’estompe de plus en plus. On te sent plus libre, davantage en accord avec toi-même et avec une envie d’exprimer tes sentiments à travers tes compositions. C’est quelque chose qui nous touche particulièrement parce qu’on sent que tu fais de la musique en premier lieu pour toi, pour t’exprimer le plus sincèrement possible. Comment perçois-tu cette évolution depuis tes premiers pas dans la musique ?
Beaucoup d’artistes que tu vois émerger et qui ont tout aligné, le choix du pseudo, la musique… Parce qu’ils ont eu le temps de le murir, de prendre le temps. Moi finalement, je me suis jeté dessus. J’ai commencé à composer en 2018 et rapidement j’ai sorti des choses mais sans vraiment réfléchir, il fallait que ça sorte. Il n’y avait pas d’esthétique, pas de d’identité, de propos, rien du tout et c’est vrai que ça s’est affiné avec le temps parce que finalement j’étais assez immature et encore aujourd’hui sur certains points. Ça met du temps, du moins pour moi pour se trouver.
Mais je pense que même les artistes plus connus sont toujours fiers de leur dernière sortie, plus que le reste. Elle raconte qui tu es aujourd’hui. Tu as vécu des choses et tu as appris aussi à mieux composer, à faire mieux certaines choses.
Je pourrais très bien faire comme Aphex Twin, avoir 14 alias, et à chaque fois ça raconte un truc différent parce que tu changes, tout le monde change…
Et surtout de commencer à 18 ans, tu sors de la période ado alors que là tu as 28, bientôt 29 donc forcément ta vision de la vie est différente, tu cherches à racontes d’autres choses.
C’est logique en soi ! Si tu veux que ta musique te ressemble et te parle, elle doit évoluer en cohésion avec ta propre personne et c’est quelque chose de compliqué je pense pour un artiste !
On le voit par exemple avec Fakear que tu connais bien, qui a percé il y a plus de 10 ans avec une musique qui lui ressemblait à l’époque mais qui est plus ou moins en désaccord avec la personne qu’il est devenu. Ça doit être diffile pour un artiste de changer alors que le public t’aime pour un style de musique en particulier.
Clairement ! Mais c’est un problème quand tu as quelque chose qui fonctionne. Moi j’ai aucun stress là-dessus parce que j’ai encore rien qui a fonctionné à ce point !
Mais tu as quand même fait une Boule Noire sold-out avec ABRAN pour la sortie d’AGATE. Tu as une communauté qui grandit de jour en jour. Tu as eu la confiance de beaucoup de d’artistes reconnus pour faire des premières parties…
Non c’est sûr, mais je ne pense pas être encore identifié sur un style musical même si c’est le but à terme. Je n’ai pas encore cette pression. Si je veux changer, faire évoluer drastiquement ma musique, je peux le faire. Et d’ailleurs si j’ai envie de le faire je le ferais. Je ne penserais même pas à créer un autre alias, ce sera juste une évolution logique de Lydsten qui reflétera qui je serai à ce moment précis.
Cette évolution entraîne logiquement de nombreux changements, aussi bien dans ta manière de penser la musique que dans ton entourage professionnel qui s’est agrandi. Comment as-tu vécu cette année 2023 ?
C’est marrant en effet parce qu’il y a un an j’ai signé chez mon tourneur, juste après j’ai trouvé ma manager, puis l’éditeur et le label. Il y a plein de choses qui sont arrivés d’un coup et comme tu l’as dit c’est un vrai bouleversement dans le sens où j’ai un taff à côté, que je faisais ma musique dans mon temps libre et que désormais j’ai plein de gens qui gravitent autour du projet. C‘est intéressant parce que les gens ont chacun un avis et t’apportent quelque chose de vraiment important. Mais clairement c’est un gros travail d’organisation qu’on est encore en train de peaufiner !
Bien qu’on ne t’ait pas beaucoup entendu avec des nouveaux titres l’an dernier – en dehors de la parution de ton EP de remix -, on a pu te retrouver de nombreuses fois sur scène, en compagnie de Grandbrothers ou Irène Drésel mais aussi dans de nombreux festivals. Qu’est-ce que cette année tournée davantage vers le live t’a apporté aussi bien sur le plan personnel que professionnel ?
Pour tout te dire, AGATE ça faisait déjà quelques temps que je l’avais, en quelques sortes, mis de côté pour bosser sur la suite et je me suis rendu compte qu’en effet il m’a permis de faire plein de dates, beaucoup de premières parties, de tourner en festivals, tout ce que je pensais même plus accessible. Quand j’ai terminé de concevoir AGATE, de peaufiner la DA avec Cyril (Cyril Izarn – NŌBL), il ne me restait quasi plus d’énergie pour le défendre… Mais finalement, j’ai pas mal eu l’occasion de présenter ma musique en live et j’ai quasiment joué que des nouveautés à chaque fois ce qui m’a permis de tester plein de choses et de développer finalement l’identité de l’EP BIAS en live. En gros j’ai passé un an à tester mes morceaux dans les conditions du live et ça m’a rassuré, d’autant plus que tu te confrontes à un public qui n’est pas là pour toi à la base.
Tu sembles également proche de nombreux artistes de la scène émergente française. On te sait ami avec ABRAN, thems ou encore ROD-R. Quel regard poses-tu sur cette scène musicale émergente en France ? Notamment dans l’univers electronica, bien que très présent en Allemagne, aux Pays-Bas ou encore dans les pays nordiques, qui a, selon moi, plus de mal à trouver sa place dans l’hexagone, notamment à cause du peu de médiatisation. Tu vois par exemple quelques gros noms internationaux qui viennent en France mais seulement à Paris.
À part Paris ! C’est juste le marché français qui est spécial. C’est mon regard, je n’ai pas d’études pour appuyer ce constat mais je trouve qu’en France, la musique électronique c’est la French Touch, c’est solaire. Même si tu prends Fred Again.. qui marche bien ici, tu es dans une musique solaire. Il y a aussi de la musique un peu UK ou de la techno vénère, très sombre mais très percussif. Tu vas moins creuser dans l’histoire !
C’est pour ça qu’on a lancé le reliefs avec Étienne, ABRAN. On essaye de ramener ce genre de musique en France qui, on pense, doit avoir une place. Hier on était avec Janus Rasmussen et on en a beaucoup parlé ; même pour lui le marché français est différent, il y a d’autres attentes. Mais quand ils viennent jouer, certes c’est seulement à Paris mais les gens se déplacent et écoutent. Kiasmos qui a récemment sorti un EP, tu regardes les stats, Paris c’est la 4° ville où ils sont le plus écoutés !
Donc le problème viendrait plus de la médiatisation..?
Je ne sais pas si c’est la médiatisation ou juste globalement l’industrie musicale française qui n’est pas portée là-dessus. Et tu vois quand on fait des tremplins, quand on fait des dispositifs de repérage, à chaque fois la musique électronique dans ce style là n’est jamais plébiscitée. Ce n’est pas un coup de gueule ! C’est vraiment juste factuel.
On pourrait très bien jouer en Allemagne ou dans ce genre de pays qui sont beaucoup plus ouverts à cette musique mais on serait confronté à une concurrence beaucoup plus rude donc je pense que ce serait aussi difficile de se faire un nom pour autant.
Mais est-ce que tu penses qu’il y a malgré tout un manque de connaissance de ce genre d’univers musical en France, même vis-à-vis des professionnels dont certains ne parviennent pas à percevoir et comprendre la pluralité de sous-genres derrière le terme « musique électronique » ?
Pour moi c’est un cercle vicieux dans le sens où les médias peuvent ne pas jouer le jeu donc les salles ne jouent pas le jeu donc personne n’en parle et personne ne sait ce que c’est…
Alors que le public est présent !
Alors que les gens écoutent en tout cas ! Mais peut-être qu’à un moment donné, des programmateurs ont essayé de faire jouer ce genre musical et que ça n’a pas rempli les salles donc ils se sont dit « oula, ça ne marche pas, on va faire autre chose ». C’est aussi une histoire de tendances.
Même si tu prends Superpoze qui est assez connu et est aussi un peu dans ce débat là, aujourd’hui tu le vois très peu jouer. Pour Nova Cardinale sorti en mars 2022, il n’a pas fait énormément de scènes alors que son projet est dingue ! Je pense que c’est l’album qui m’a le plus inspiré ces dernières années ! Dans la notion de « je te raconte une histoire sans parole », cet album est monumental ! Tout est parfaitement bien pensé, du début à la fin.
C’est vrai que je l’ai adoré aussi parce que tu te poses pendant 45 minutes, tu te laisses porter par cette musique contemplative et évolutive, à découvrir l’histoire d’une seule traite. Je trouve qu’il n’y a pas la notion de « singles » mais un réel projet complet. Et c’est difficile à vendre parce qu’avec les plateformes de streaming, le playlisting, la manière d’écouter la musique a changé et les gens ne prennent plus le temps de se poser 1h sur un album…
Je pense qu’ils ont le temps. Je pense qu’on leur fait croire qu’ils ont pas le temps ! Et les gens ont clairement le temps. En fait c’est juste que Spotify et les plateformes en général sont géniales pour faire découvrir la musique, c’est direct mais pour autant les gens ne sont pas forcés d’écouter la musique différemment.
Je me souviens d’Adèle qui avait enlevé le bouton « lecture aléatoire ». C’est incroyable comme démarche ! C’est artistique en tout cas de dire « j’ai créé quelque chose qui a un sens, écoutez-le dans ce sens-là mais si vous voulez prendre les morceaux un par un parce qu’ils vous plaisent, allez-y, personne ne vous force mais l’histoire se lit comme ça ».
Je pense que c’est surtout les playlists qui ont tout cassé. Pour rentrer dans les algorithmes de Spotify et se faire reconnaître, là il faut passer par des playlists, par des gens qui écoutent en masse sur les grosses playlists éditoriales ou de curateurs. Mais sinon oui, les gens ont le temps !
C’est hyper intéressant parce que même moi, aussi bien en tant que média ou dans ma vie personnelle, je ne prends plus assez le temps d’écouter des albums parce que il y a trop de sorties, il y a toujours des trucs à écouter.
Alors ça c’est sûr, ouais !
Et finalement je vais écouter un album peut-être un mois et demi après la sortie parce que si je sais qu’il y a une démarche artistique globale autour du projet, je vais mettre du temps à prendre ce temps pour l’apprécier dans son entièreté ! Il y a quelques mois encore on faisait du contenu assez « réactif » avec des articles quotidiens et finalement on s’est dit qu’il fallait mieux faire une vraie sélection pour parler d’un projet dans sa globalité et que ça prend du temps d’écouter un album, un EP, de tout comprendre pour en parler. Et tant pis si l’article sort 1 mois après la sortie parce qu’il n’y a pas de date de péremption dans la musique !
Tu as entièrement raison !
Mais c’est un choix éditorial compliqué aussi vis-à-vis des labels, RPs avec qui on bosse depuis des années, qui attendent des relais dès le jour de sortie…
Tout ça parce qu’ils veulent rentrer dans les algos, ils veulent que ça parle tout de suite pour maximiser les chances d’exposition immédiate… Parfois au détriment de la démarche artistique !
Clairement ! Et tu nous parlais de Nova Cardinale. Pour nous Superpoze c’est une des plus belles évolutions dans le paysage musical français avec notamment cet album hyper intimiste, qui fait la part belle au piano, ton instrument de prédilection. On peut aussi parler de TWO LANES qu’on affectionne tout particulièrement et qui a récemment dévoilé une réédition de leur dernier album avec des piano versions. De ton côté, envisages-tu de sortir plus formellement (en dehors de tes réseaux sociaux) des titres acoustiques ?
Sincèrement j’adorerais ! Mais il faut vraiment que je retravaille les morceaux de fond en comble car je ne veux pas juste reprendre les pianos que tu entends sur l’EP et dire « c’est bon, j’ai enlevé le reste ». Je veux vraiment réinterpréter le morceau pour véhiculer une réelle émotion. Je le ferai le jour où j’aurai le temps de le faire. Ça va être difficile dans le sens où il y a quand même certains morceaux comme BURN où il y a une grosse montée, tu sens qu’il y a de la frustration, de la colère presque. Retranscrire ça uniquement au piano c’est compliqué mais il faut que je trouve le moyen de le faire. En tout cas si je le fais, c’est pour le propos, ça ne sera pas pour faire une version piano qui va streamer avec un petit piano feutré qu’on a déjà entendu 100 fois. Si je le fais, c’est vraiment pour dire un truc en plus, ou en tout cas redire le propos du morceau de base, mais différemment.
Pour te donner une info, en ce moment je me pose la question de faire un projet où je collabore avec des artistes que j’apprécie, des artistes qui font du piano aussi, pour innover, amener quelque chose en plus. Ça me permettrait de découvrir aussi la sensibilité d’autres personnes. J’aimerais bien faire ça sur un prochain EP, sans pour autant savoir si ça sera moi derrière le piano, si on fera ça à plusieurs… Je n’en sais pas plus mais c’est sûr que des versions au piano arriveront un jour !
J’adore ta vision de la musique, de jouer avec, la transposer dans plusieurs ambiances, que ce soit au piano, dans l’EP ou même en live où tu la retravailles pour amener une nouvelle dimension !
Pour le live il y aura une notion d’énergie que tu ne retrouves pas complètement dans BIAS. Par exemple, tu prends BURN qui dure 3 minutes sur l’EP, rien n’est dit qu’elle n’en fasse pas 15 minutes en live ! Ce qui m’importe c’est le voyage, qu’est-ce que ça raconte.
Avoir une valeur ajoutée en live sans dénaturer !
C’est exactement ça ! Tu retrouveras le même sens en live que dans l’EP parce que l’histoire doit être racontée de cette manière mais avec une énergie différente ! Les personnes qui viendront me voir en live et qui auront écouté l’EP dans l’ordre découvriront encore plus mon histoire avec une réelle immersion dans l’univers que j’ai créé.
Tu parlais d’un potentiel EP de collaborations et on te sait notamment très admiratif des artistes du label Ki Records ou encore Erased Tapes. Si tu avais le choix, avec quel(s) artiste(s) rêverais-tu de collaborer ? Que ce soit de ces labels ou autres !
C’est une bonne question ! Grandbrothers j’adorerais collaborer avec eux, Superpoze clairement aussi ! Kiasmos ça serait un rêve également. Mais c’est une très bonne question parce qu’il y a plein d’artistes avec qui je me dis que ce serait génial de bosser avec eux mais que finalement ça n’amènerait pas forcément grand chose de plus, que nos univers seraient trop proches. Encore une fois, je pense que ce sera avec des artistes qui ont des histoires à raconter. Saycet aussi a cette démarche là ! Je ne le connais pas vraiment mais que je l’ai découvert, ça m’a mis une claque de voir son univers, l’intention qu’il met dans sa musique.
Clairement ! Personnellement je l’adore, il n’a pas une très grande audience mais aussi bien dans ses projets personnels que dans les BO qu’il produit, tu sens une démarche sincère poussée à fond !
C’est ça ! C’est un très bon artiste, un musicien de talent qui raconte bien les choses.
Très chouette en tout cas de discuter avec toi ! Est-ce que tu aurais un dernier mot pour conclure cette interview, une exclusivité peut-être ?
Alors en dehors du clip qu’on est en train de bosser et qui devrait sortir début juin, pas grand chose de plus à te raconter ! Avec mon équipe on est train de voir pour développer au maximum une imagerie qui colle à l’histoire de l’EP en plus des covers des singles et de l’EP. On bosse sur ce court-métrage qui sortirait juste avant le Point Ephémère le 20 juin prochain ! Je ne peux pas trop en dire mais ce sera vraiment la pierre angulaire de l’EP !
Sinon un grand merci pour cette interview et à très vite !