Review : Orelsan – Civilisation
Rédacteur en chef, Fondateur
Quelques semaines après avoir fait son comeback à travers la série documentaire Montre jamais ça à personne réalisée par son frère, Orelsan sort son quatrième album solo : Civilisation.
Il y a quatre ans, tout juste un mois après le lancement de La Distillerie Musicale, on vous parlait de La fête est finie, troisième album d’Orel, cocktail introspectif voire mélancolique d’une puissance notable. C’est donc avec une grande hâte qu’on découvrait cette nuit ce nouvel opus !
J’ai fait un album qui ne parle que de ma meuf et de la société.
L’album s’ouvre avec une boucle de piano mélancolique sur laquelle Orelsan déverse son flow incisif. Shonen montre le ton : storyteller de génie, à l’approche de la quarantaine, il a plus que jamais besoin de s’exprimer, sans filtre, sur des sujets en tout genre. La dépression, l’écologie, la mondialisation, l’alcoolisme, l’enfance ou encore la famille et l’amour, tout y passe. Comme à l’accoutumée, la musique du rappeur caennais se veut exutoire, telle un journal intime écrit sans retenu. La Quête en est un bel exemple ! Orelsan nous fait un résumé de sa jeunesse, présentant les divers questionnements et moments de vie sur une prod légère, avec une certaine candeur telle une berceuse.
En parlant de productions, on ne peut que remercier Skread pour ces instrumentations incroyables qui soulignent à chaque fois avec justesse les propos de son pote d’enfance, toujours le premier à expérimenter, à pousser les curseurs à fond pour livrer des réels instrus coup de poing à l’instar de Du propre. Avec Bébéboa on découvre un Orel qui, sur un ton léger, parle de l’alcoolisme de sa chérie : « J’lui dis qu’elle boit trop, elle m’dit qu’j’bois plus assez ». Un single fun avec une boucle prenante.
J’suis pas concerné par la société, j’suis un putain d’artiste.
Changement d’ambiance avec Rêve mieux qui dénonce la société actuelle et ses nombreux « influenceurs » qui tirent profit de la cupidité des gens ou encore de leur soif de pouvoir et de reconnaissance. Une critique de la société qui est (sans surprise) un fil rouge de Civilisation qu’on retrouve également dans Seul avec du monde autour dans laquelle Orelsan nous parle de sa vie, narre son quotidien avec une certaine nonchalance tout en y faisant référence à PNL : « Soirée karaoké je chante Au DD, Ademo c’est ma sœur ».
On le sait : Orelsan est un génie des mots mais surtout on adore tout particulièrement la manière qu’il a de les mettre en musique. Il nous le prouve une fois de plus avec Manifeste, un titre de plus de sept minutes dans lequel il nous développe toute une histoire, témoignage d’une manifestation sans refrain qui prend presque l’apparence d’un documentaire audio. Après cette grosse claque, on s’en reprend une instantanément avec L’odeur de l’essence, lead single dévoilé il y a quelques jours seulement accompagné d’un visuel percutant. Les fans les plus assidus verront ici un certain clin d’oeil à Suicide Social, titre monstrueux de son deuxième album Le chant des sirènes. Dix ans plus tard, le constat est le même, du moins très similaire. La société se voit pointée du doigt grâce à un savant mélange de cynisme et de réalisme. Tout le monde en prend pour son grade avant de conclure par une métaphore des plus pertinentes : « On s’bat pour être à l’avant dans un avion qui va droit vers le crash ».
Alors qu’on vient de se prendre en pleine face une des meilleurs prods d’Orelsan, on glisse sur deux pistes en apparence plus calmes : la ballade mélancolique Jour meilleur et l’excellent Baise le monde, véritable coup de coeur instantané dans lequel il dénonce la surconsommation en nous embarquant dans des soirées pour mettre en lumière la face « cachée » de la société actuelle prenant pour exemple notamment l’achat d’un nouveau survêt’ stylé qui est censé en mettre plein la vue mais qui cache tout un processus de production où les petites-mains sont sous-payées, souvent n’ayant pas d’autre choix que de travailler dans des conditions plus que discutables, le tout avec un réel impact négatif sur la planète. Une thématique plus qu’actuelle qui, certes est mise en avant à travers des exemples connus de tou.te.s, mais se voit travaillée avec une plume aiguisée.
Sans surprise, Orel invite son pote de toujours, Gringe, sur Casseurs Flowters Infinty dans lequel ils n’hésitent pas à faire plusieurs références à leurs précédentes collaborations : « Ils voulaient pas croire en moi tous ces fils de platistes (au fond…) » qui fait référence à La Terre est ronde et son refrain qui commence par « Au fond, j’crois qu’la Terre est ronde… » ; on retrouve également le fameux gimmick de Ils sont cools ou encore un petit clin d’oeil malicieux à son interview chez Clique avec la punch « « Ah c’est marrant ! », ça m’fait pas marrer ». Du génie !
Certainement la piste la plus étonnante de ce quatrième album, Dernier verre dénote avec une ambiance R&B en compagnie du groupe composé de Pharell Williams et de Chad Hugo : The Neptunes. Bon, on repassera… L’idée est bonne, un des rêves d’Orel de collaborer avec Pharell mais la finalité est assez décevante, du moins elle ne colle pas à cet album qui est assez cohérent… Ensemble qui est une (nouvelle) déclaration à sa moitié nous déçoit tout autant malgré la bonne prod de Skread. En totale subjectivité, on lui préfèrera sa piste suivante, Athéna, qui certes rend hommage à sa femme mais nous touche par son instrumentation sobre où le piano à une place centrale. Enfin, titre éponyme, Civilisation vient conclure ce quatrième opus en reprenant une punch de sa piste introductive :
Tout s’transforme rien n’se perd, ombre et lumière.
En bref
L’unique critique négative qu’on pourrait émettre est la suivante : bien qu’ils s’inscrivent dans une certaine logique de ses précédents albums, les thèmes abordés dans Civilisation peuvent sembler un brin démagogiques et déjà vus. On l’avait mentionné dans La fête est finie, Orel s’est assagi et on regrette peut-être un peu d’avoir perdu son côté subversif. Mais bon, chaque album d’Orelsan est un véritable journal intime et il compose à chaque fois des morceaux qui reflètent sa vie et correspondent donc à son âge ! Sa plume reste toutefois toujours aussi bonne et ça personne ne peut le nier !
En résumé, ce quatrième album est un très bel effort qui risque certes de diviser les fans de la première heure qui diront « c’était mieux avant » mais il a grandi, nous aussi, et on ne peut que le remercier de toujours faire, avec son cynisme légendaire, une critique de la société actuelle d’une justesse remarquable.
Tracklist
1. Shonen
2. La Quête
3. Du propre
4. Bébéboa
5. Rêve mieux
6. Seul avec du monde autour
7. Manifeste
8. L’odeur de l’essence
9. Jour meilleur
10. Baise le monde
11. Casseurs Flowters Infinity (feat. Gringe)
12. Dernier verre (feat. The Neptunes)
13. Ensemble (feat. Skread)
14. Athéna
15. Civilisation
Notre sélection : Shonen, Jour meilleur, L’odeur de l’essence, Du propre
NOTE : 18/20