Rédactrice Photographe
Cut Killer sera la tête d’affiche du samedi soir à la Crème Festival. On est allés à sa rencontre pour parler du festival, de la nouvelle génération rap/hip hop et de sa (déjà longue) carrière.
Comment as-tu entendu parler de La Crème Festival et qu’est qui t’a donné envie d’y participer ?
J’ai connu La Crème Festival grâce à Camille Lindic (associée à Paris de l’agence La Crème) que je connais depuis 8/10 ans. On a beaucoup collaboré ensemble, notamment sur le festival de Deauville pour lequel je m’occupe également de la partie entertainment du festival.
Camille a commencé à me parler de La Crème Festival l’année dernière en me disant qu’il se déroulerait à Villefranche, qu’il y aurait des artistes qui sont également des potes, comme Bon Entendeur, Pedro ou Breakbot. Cela a suffi pour me convaincre !
Ce qui est intéressant lorsqu’on est sur une première édition, c’est de savoir exactement la manière dont le festival sera organisé. J’ai posé bien sûr quelques questions mais j’étais rassuré car les organisateurs avaient déjà travaillé sur l’organisation d’autres festivals. Par ailleurs, organiser un tel évènement sur plusieurs jours montrent qu’ils savent où ils veulent aller.
Connaissais-tu Villefranche et la région ?
Bien sûr que je connais la région. On y a déjà fait plein de choses. Il y a 20 ans, Nice a connu de grandes années. Après cette période, il ne s’est plus passé grand chose, c’était le désert de Gobi. Ça commence à rebouger mais c’est assez dur car le maire de Nice n’est pas volontaire et le public niçois n’est pas un public de festivals ou de festivités pour les jeunes.
Que penses-tu de la scène rap / hip hop actuelle (Nekfeu, Orelsan, Lomepal, Jul) ?
Actuellement, on est sur une quatrième génération qui est très bien dans certains cas de figure.
Durant les années 80, on était aux prémices du mouvement. Au-delà de la problématique des jeunes qui voulaient trouver leurs places, on était dans un système révolutionnaire où on essayait de revendiquer le fait qu’on voulait exister. A cette époque, on était dans une société qui ne voulait pas nous faire évoluer.
Dans les années 90, il y a eu plus d’engouement. On parle de rap et non plus de mouvement hip hop. Par ailleurs, il y a aussi un aspect financier et commercial pour les maisons de disques et une dimension sociale. La société a commencé à prendre conscience de l’influence du rap notamment dans les films.
Dans les années 2000 : le rap est déjà installé mais pas encore établi dans la société car non considéré comme de la variété française. On nous donne des petits créneaux à la télé ou sur des évènements comme les victoires de la musique en nous cataloguant de « musique urbaines ».
Puis, dans les années 2010 – 2020 : on est installés, on a une nouvelle génération qui va beaucoup plus vite. Notre génération a posé les briques mais la nouvelle génération, qui correspond aux jeunes d’aujourd’hui, n’est plus dans le politique ou le social, elle est dans l’entertainment et dans la rapidité d’exécution des réseaux sociaux et de la télé. Par conséquent, le discours est aussi différent : on a donc des choses aussi bonnes que mauvaises.
Il y a des artistes qui arrivent à sortir quelque chose d’intéressant avec leurs mots et c’est une très bonne chose (il y en a une bonne quinzaine comme par exemple Nekfeu, Orelsan, Demi Portion). Ensuite, il y a une autre génération qui est plus festive, comme Gims. Jul a mis en avant la région PACA. Socialement, ce qu’il dit parle aux jeunes, avec leurs mots, leurs codes et leurs fautes d’orthographe. Il décrit davantage quelque chose qu’il ne trouve de solution.
Ensuite, il y aussi des mecs comme Roméo Elvis ou Lomepal, qui font du rap qu’on qualifie de « conscient ». Pour moi, ce sont les 2.0 de MC Solaar. Leurs textes sont relativement bien écrits et réfléchis. C’est aussi davantage chanté et plus mélodieux car à l’époque, on ne pouvait pas chanter, il fallait qu’on rappe obligatoirement. C’est une évolution qui est cohérente et que je ne veux pas dénigrer.
Avec quel jeune artiste aurais-tu envie collaborer et pourquoi ?
Je fréquente beaucoup les DJ producteurs, notamment DJ Weedim qui a crée la boulangerie française et qui a fait beaucoup de choses avec de nombreux artistes. DJ Weedim, qui est dans la trap vraiment énervée, trouve qu’il est extrêmement difficile de travailler avec des artistes issus de la nouvelle génération car ils sont « ailleurs ». C’est très compliqué de parler business avec des jeunes qui pensent être dans la tendance et pouvoir gagner de l’argent très facilement. Ils peuvent déchanter très rapidement au bout d’un an mais ils n’ont pas cette vision.
Ce travers résulte aussi d’une absence d’organisation et de structure dans le monde du rap. On est en retard par rapport aux États-Unis. Alex Jordanov a sorti un documentaire à ce sujet, The Game, dans lequel on s’aperçoit qu’en France, on est très individualistes et on ne cherche pas à partager ses connaissances ce qui peut expliquer que certains échouent.
Quel regard portes-tu sur ta carrière ? As-tu des regrets ?
Je ne regrette pas ce que j’ai fait hier, c’est passé ! On avance, on continue. Je suis moi même le premier étonné et en même temps reconnaissant d’avoir cette carrière aussi longue ! C’est très gratifiant de savoir que je peux continuer mais c’est avant tout parce que le travail a primé. Il faut tout le temps travailler et montrer que tu es là. On n‘est jamais en haut, on est obligé de se renouveler perpétuellement, tout le temps, même si on a une carrière, même si on est déjà identifiés, tu es obligé de montrer encore ce que tu sais faire.
A la base, le rap c’est un game. On est déjà en compèt avec soi même mais aussi avec les autres. Ce game était plus présent quand il y avait plusieurs émissions de radio car tout le monde écoutait ce que faisait l’autre. Aujourd’hui, il reste Planète Rap comme émission phare mais les autres radios – le Mouv, Générations – n’ont plus autant d’impact qu’avant, ce qui est dommage.
Il y a donc d’autres réseaux qui se sont crées comme Sofiane qui a créé Rentre dans le cercle (qui est une émission web permettant à divers rappeurs de montrer leur talent en effectuant un freestyle face-caméra ainsi qu’à des professionnels de labels ou de médias rap de faire découvrir leurs métiers). Et en effet, certains artistes souhaitent faire avancer et faire évoluer d’autres artistes. Cela te permet aussi de repérer des artistes que tu peux signer.
Quels conseils donnerais-tu à un jeune qui souhaiterait se lancer dans le rap ?
Ne lâche pas tes études, on ne sait jamais !
Je dis toujours : quand tu commences quelque chose, fais le à fond mais il faut toujours réfléchir. Quand j’ai commencé, j’ai fait du droit. J’ai arrêté en deuxième année car ma carrière musicale prenait le dessus. Quand j’ai fait ce choix, je savais où j’allais et je savais ce que j’allais raconter. Aujourd’hui, on est obligés d’y aller à fond mais on doit aussi avoir un filet de sécurité parce que si ça ne marche pas, il faut autre chose. Au moment où tu sais que ça peut décoller, tu peux éventuellement lâcher ton boulot ou tes études mais pas avant. Tu ne peux pas te consacrer uniquement à quelque chose pour laquelle il y a une chance sur deux que ça marche.
Mais ce raisonnement est aussi valable une fois que tu es dans le game. Tu peux te retrouver comme certains artistes des années 2000 qui ont explosé mais qu’on n’entend plus aujourd’hui. Ils ont essayé de revenir après 7/8 ans d’absence mais c’est très compliqué surtout dans un univers ou ça va très vite.
Comment expliques-tu que ça soit si rapide aujourd’hui ?
Il y a davantage d’artistes dans le rap maintenant car il est plus rapide et plus facile de créer et de produire.
A l’époque, pour être DJ, il fallait acheter deux platines et une table de mixage qui pouvaient représenter un certain coût pour un jeune. Si tu voulais être beatmaker, tu devais avoir ta SP-12, ton ordinateur. Aujourd’hui, avec un petit ordinateur et un logiciel, tu peux composer mais il faut obligatoirement s’y mettre jour et nuit sans être certain que cela fonctionne. Il faut bien analyser le marché, voir ce que les autres font pour faire différemment car on ne fait pas de copie. Les copies ne fonctionnent pas ou ne fonctionnent qu’un temps.
As-tu découvert des jeunes artistes que tu voudrais nous faire découvrir ?
J’en ai plein ! Mais ils ne sont pas connus, ils n’ont rien fait pour le moment. On ne va pas leur donner de crédit tant qu’ils ne sont pas structurés. Il faut qu’ils se bougent. On les aide, on essaie de faire en sorte que ça avance. Certains ont fait des apparitions sur certains projets mais il faut être constants. Tu ne peux pas les mettre en avant tout de suite s’ils n’ont rien fait de concret par eux même.
J’ai déjà commencé à encenser des gens à leur début qui ont fini par croire qu’ils avaient déjà tout fait alors qu’ils n’avaient rien sorti et ça crée tout le contraire de la dynamique voulue. Ils se sont dit « je suis validé par untel, j’ai fait une apparition avec untel », au final, ça a donné de la merde. Quand ils allaient bosser en studio, ils pensaient avoir le temps mais on a jamais le temps.
Quel est ton meilleur / pire souvenir de festival ?
Mon meilleur souvenir : le premier festival que j’ai fait avec MC Solaar qui m’a invité à être son DJ. On s’est retrouvé en Suisse devant 100 000 personnes. Une folie de ouf, une dinguerie.
Mon pire souvenir : lorsque l’organisation est en désordre et que les organisateurs te disent que tout est sous contrôle alors que ce n’est pas le cas.
Que peut-on te souhaiter pour cet été ?
De prendre des vacances. Depuis 25 ans, les périodes estivales sont les périodes les plus chargées. On a pas beaucoup de temps pour nous mais c’est normal donc il faut garder tout le temps la pêche.