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Interview : Clémence Meunier du mouvement Music Declares Emergency France

Interview : Clémence Meunier du mouvement Music Declares Emergency France

Deux semaines après le lancement du mouvement Music Declares Emergency (MDE) en France, qui déclare l’état d’urgence climatique et écologique dans la filière musicale, nous avons eu l’opportunité d’interviewer Clémence Meunier, l’une de ses cofondatrices.

Peux-tu nous expliquer les origines de Music Declares Emergency ?

Music Declares Emergency est, au départ, un collectif de professionnels de la musique anglaise qui se sont rendus compte qu’ils étaient engagés dans leur vie personnelle mais que cet engagement s’arrêtait une fois qu’ils passaient la porte du bureau. Proches de Julie’s Bicycle, qui travaille sur l’écologie depuis de très nombreuses années, ils ont monté le collectif MDE en Angleterre en 2019. Le mouvement est donc tout récent. Dès sa création, MDE UK a été soutenu par de nombreux artistes à l’instar de Thom Yorke.

Comment ce mouvement anglais est-il arrivé en France ?

MDE est un mouvement international mais il y a des branches allemandes, suisses, chiliennes, canadiennes… Chaque filière a des spécificités nationales, des interlocuteurs uniques et des réseaux publiques propres au pays. Dès la création de MDE UK, des Français se sont intéressés au projet et, dans la foulée, ont monté le collectif en France !

MDE France est constitué sous la forme d’une association loi 1901, avec la possibilité d’adhérer au mouvement, de faire partie de l’association, etc. Pour le moment, nous sommes une douzaine de bénévoles. Un mouvement comme MDE permet de se sentir un peu moins seul, d’avoir des conseils précis mais aussi d’avoir conscience qu’il y a plein de personnes ou de structures, dans le secteur musical, qui travaillent déjà beaucoup sur la transition écologique. Cela permet d’identifier les bonnes pratiques et ceux qui arrivent à les développer !

Comment fonctionne MDE France ?

On est tous bénévoles, on travaille tous à coté de MDE. Je suis journaliste, certains viennent du monde de la régie, d’autres travaillent dans des labels ou sont artistes, etc. On a mis en place une cagnotte commune – pas pour nous payer – mais pour subvenir aux frais de fonctionnement de l’association.

Tu viens d’évoquer les bonnes pratiques qui sont à identifier. Avez-vous prévu de rédiger un guide ?

On est au tout début du mouvement mais on a plein d’envies et de projets d’actions. Dans la rubrique « action » du site internet, on peut trouver des conseils par métier. L’idée est de développer un vrai guide et de le rendre de plus en plus spécifique. Par exemple, si vous voulez faire telle action, vous pourrez retrouver un lien qui mènera vers un collectif d’entreprises qui vous aidera à mener telle action. On souhaite améliorer tout cela en créant un annuaire, en mettant en place des tables rondes pour faire parler les professionnels entre eux ou en faisant de l’éducation auprès du jeune public, etc.

J’ai relevé quelques pratiques intéressantes dernièrement. Par exemple, Paul McCartney propose des repas végétariens pendant ses concerts et montre l’impact positif sur l’environnement de la diminution de consommation de viande. 

En effet, c’est un levier qui est très simple à mettre en place pour minimiser les impacts d’un concert mais ce n’est pas un changement structurel ! Mais effectivement, on peut déjà travailler sur la nourriture et la boisson. Faire venir des bières étrangères en semi-remorque depuis la Hollande, ça a beaucoup plus d’impact que d’utiliser de la bière locale. Revenir à quelque chose de plus local n’est pas possible pour tous les festivals, mais ça peut être une solution pour des festivals de taille moyenne. Le Cabaret Vert à Charleville-Mézières propose de la nourriture et une bière locales.

Rone

Pour le merchandising, le groupe Milky Chance demande à ses fans qu’ils viennent avec leurs propres vêtements. Quelles sont vos recommandations en la matière ?

Ce sont aussi des actions sur lesquelles on travaille. Pour le lancement de MDE, on a fabriqué des T-shirts « No music on a dead planet » qu’on a distribués à des artistes pour nous aider à faire passer le mot. On a fait faire que 10 T-shirts. L’idée n’était pas de produire de nouveaux vêtements, vu la catastrophe que représente la fast-fashion pour l’écologie. Nos T-shirts sont brodés à la Rochelle, sur du coton bio-sourcé et qui a une attribution européenne assurant qu’il s’agit de coton bio récolté dans des conditions respectueuses des travailleurs. On travaille également sur des patchs : par exemple, si tu as un t-shirt que tu aimes bien mais qui est un peu troué, ne le jette pas, mets un patch ! Ça peut être une solution pour faire de l’upcycling ! Ne pas jeter les défectueux et les vendre à bas prix est un petit début !

Il y a donc un panel très large de mesures à mettre en place pour assurer cette transition.

Les leviers à activer pour travailler sur la transition écologique de notre filière vont des petites choses non-structurelles à des choses plus macro, comme par exemple réfléchir à la manière dont vont être alimentés en énergie les stades qui accueillent des concerts.

On parle de l’impact direct ou indirect des artistes, des salles de concerts ou des festivals mais le public a-t-il aussi un impact ?

Sur un concert ou un festival, les principales émissions à effet de serre concernent la manière dont les gens se déplacent. Il y a des choses à faire avec les salles, les festivals et les transports en communs. Les anglais ont travaillé sur une sorte de pass SNCF spécialement pour les artistes afin de les inciter à prendre davantage le train.

De quelle manière, en tant que spectateur ou festivalier, pouvons-nous réduire cet impact ?

En tant qu’individu, quand on va à un festival, la première question à se poser et de savoir comment je me déplace, où je jette mes déchets. Il y a encore des festivals qui n’ont pas de tri sélectif sur leur site. On encourage les festivaliers à venir avec leur petit sac et à faire leur propre tri. Ça peut paraître être une goutte d’eau, mais si ça devient un principe évident pour tout le monde, ça deviendra normal à grande échelle, et là, on aura fait quelque chose !

MDE connaît un bon départ. Vous avez été reçus par plusieurs radios, relayés par des magazines comme Rolling Stones ! Comment comptez-vous sensibiliser les artistes, les labels à votre mouvement ?

Ce travail d’approche a été fait avant le lancement. Certains artistes signataires sont venus avec nous pour des interviews. Par exemple, hier, nous étions à Culturebox pour l’émission animée par Daphné Bürki et Raphäl Yem, avec la chanteuse Sandra Nkaké.

Clémence Meunier

Comment expliquez-vous cet engouement ?

On se rend compte qu’il y a un engouement parce qu’il y a un réel besoin. Beaucoup de personnes se sentaient un peu seules dans leur démarche. Ce besoin de créer une communauté et de fédérer intéresse les pros, les labels, les festivals, etc. Il existe déjà plein d’associations et de réseaux qui travaillent sur ces sujets, mais souvent chacun de son côté. Il manquait une petite association, un peu agile comme nous, pour réunir toutes ces personnes ensemble.

Quelle est la plus-value de MDE France au profit de ces professionnels qui souhaitent opérer cette transition ?

On n’est pas une boîte de conseils, on n’est pas rémunérés, on n’est pas scientifiques, on ne peut pas tout faire nous-même. On ne peut pas faire des études d’impact sur un festival. En revanche, on connait des gens qui en font ou des festivals qui en ont déjà faites. Ce que l’on souhaite, c’est mettre en contact ces personnes afin qu’elles puissent échanger sur ce sujet. De plus, dans un second temps, on essaiera de faire pression auprès des pouvoirs publics.

A ce propos, j’ai lu dans l’une de vos interviews que vous souhaitiez que le ministère de la Culture fasse de l’écologie une de ses priorités et créer un lien entre culture et écologie. Avez-vous déjà réussi à échanger avec celui-ci et entrevoir des solutions ?

Nous n’avons pas encore échangé avec le Ministère de l’Écologie mais on est en contact avec le Centre National de la Musique (CNM) et avec différents gros réseaux de la musique. On a aussi rejoint Starter qui est un ensemble de structures sur le live et l’accueil publique car on a moins d’expertise qu’eux. Il y a également The Shift Project qui a récupéré beaucoup de chiffres clefs et qui a une approche assez scientifique. Il y a assez peu de chiffres sur l’impact écologique de la musique car c’est un secteur qui est ultra protéiforme. C’est difficile de mettre dans le même bol, un café-concert à 50 personnes et le stade de France.

Estimez-vous que le sujet soit suffisamment pris au sérieux par les pouvoirs publics ?

Les pouvoirs publics ne se sont pas vraiment appropriés le sujet. Pour la prochaine COP26, la culture n’est pas au programme. La transition écologique n’est pas une priorité du Ministère de la Culture. Il n’y a aucune orientation stratégique. A terme, le but serait de faire en sorte que ce sujet soit au moins dans les axes de travail du Ministère, comme cela est le cas pour le CNM. C’est une question de temps, ils ont sûrement d’autres priorités en ce moment mais quitte à ne plus avoir de concerts, autant faire en sorte qu’on ait à nouveau le droit d’en faire et de la bonne façon.

Avez-vous défini un calendrier des actions que vous allez entreprendre ?

On n’a pas encore de calendrier mais on est en train de tout caler ! Au démarrage de MDE, on a beaucoup bossé sur les demandes presse et notre discours pour qu’il soit cohérent. Ça a été 15 jours un peu speed, mais on travaille et on communiquera dessus.

Dans un premier temps, on bosse sur des tables rondes, mais c’est compliqué d’organiser des choses en public en ce moment. Le but étant d’inviter des gens identifiés comme intéressants sur certains sujets et des pros de la filière pour que des idées en ressortent ou que les participants y apprennent des choses.

En tant que citoyen, que pouvons-nous faire pour vous soutenir dans ce projet ?

Il y a la déclaration d’urgence que l’on peut signer. Il y a une symbolique derrière, c’est comme la déclaration d’urgence sanitaire.

Que reconnait cette déclaration ?

Cette déclaration reconnait que l’industrie de la musique a un impact sur l’écologie. Certes, la filière musicale n’est pas la plus polluante au monde mais il y a des choses à faire. Elle appelle aussi les pouvoirs publics à plus d’actions sur la question de la transition écologique et des réductions des gaz à effet de serre. Cette déclaration est assez radicale. Elle appelle également le gouvernement à un objectif zéro en 2030, ce qui est plutôt ambitieux, mais en même temps est-ce qu’il y a le choix  ? Signer cette déclaration montre à la fois au public, aux artistes et aux pouvoirs publics qu’on veut tous aller dans le même sens.

On peut également partager nos actions sur les réseaux sociaux, même si on essaye de communiquer différemment pour arrêter de passer systématiquement par les GAFA et par internet qui consomment énormément ; mais en temps de confinement c’est compliqué, évidement.

La musique a-t-elle ce pouvoir de changer les choses ?

La musique doit se transformer mais est aussi un vecteur et un moyen de sensibiliser les gens. Si des artistes peuvent avoir un impact sur les gens, autant le faire pour ce genre de choses et d’ailleurs, ils le font et c’est cool (rires) !

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